Marguerite Duras, La Vie tranquille
Folio, 1944/1972, 217 p.
On connaît Marguerite Duras pour avoir renouvelé l’écriture dans la littérature de la deuxième partie du XXe siècle. On connaît Barrage contre le pacifique ou encore plus largement L’amant. Mais on trouve dès ce deuxième roman, publié en 1944, les germes de son style et de ses thèmes favoris (l’amour, la sensualité féminine, l’alcool, l’attente…).
L’attente est au cœur de La vie tranquille que la jeune paysanne espère désespérément. L’attente que quelque chose arrive, même mal, même si c’est la mort ou la folie, que quelque chose change dans sa vie monotone, dans son « ignorance de tout » (p 160) et vienne troubler l’ennui, la solitude, le fait de n’être personne. La recherche de son identité en passant par ses propres sensations est lente, laborieuse, négligente et en même temps têtue.
L’écriture passe de la première personne à la deuxième pour finir par un « on » indéfini et/ou pluriel dans « On l’aura la vie tranquille » (plusieurs fois répété).
Cette vie tranquille donne le titre au roman, elle réside dans le mariage et la vie à la ferme. Le consensus archétypal ne semble pourtant pas refléter le bonheur (p 166), mais plutôt une insatisfaction consentie, une déception, ou un ratage réussi (p 168).
La mort (Jérôme, Nicolas, le noyé de T*) scande un voyage dans la mélancolie dont l’acception du terme tend moins vers le côté nostalgique (tristesse et regrets) que pathologique (neurasthénie). Francine (Françou) admet : « Je me suis surchargée de drames » (p 202).
Sachant que Marguerite Duras utilisait des éléments biographiques reconnaissables dans ses romans, on peut rapprocher certains évènements. En 1944, son mari Robert a été déporté à Buchenwald puis à Dachau. Marguerite cherche à le faire libérer. Le roman est publié le 28 décembre de la même année. D’un autre côté, le livre est dédié à sa mère. L’écho de l’enfance et de la famille peut également s’y faire entendre.
Le style durassien s’affranchit des codes du roman pour une déstructuration de la phrase, courte et parfois agrammaticale, par une syntaxe morcelée, un rythme heurté, qui font la singularité de l’écrivaine. Dans La vie tranquille, c’est grâce à ce style que les mots adhèrent au surgissement des sensations, pulsions et embryon de reconnaissance de soi, brisant la monotonie du récit et la structure en trois parties (d’une répartition inégale).
On aime ou on n’aime pas l’écriture de Marguerite Duras, mais il faut reconnaître que l’ennui est bien représenté ici.
Citations (texte cité textuellement) :
– p 158 : « On se dit chaque matin qu’on ne pourra pas faire un pas de plus sur ce terrain-là et le soir on s’aperçoit qu’on a encore parcouru un espace vierge de solitude. »(sic)
– p 169 : « On croit chaque fois en avoir atteint le fond. Mais ce n’est pas vrai. Tout au fond de l’ennui, il y a une source d’un ennui toujours nouveau. On peut vivre d’ennui. »
– p 178 : « Puisqu’il est vain d’attendre. Du moment qu’on attend toujours au delà de ce qu’on espère. » (sic)