Avril Bénard, À ceux qui ont tout perdu
j’ai lu 2023, 189 p.
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Recevez un livre-publiez un article » de Lecteurs.com dont je remercie les organisateurs et organisatrices ainsi que les éditions j’ai lu.
Le titre est en forme de dédicace : le « à » est une adresse et un hommage.
Comme dans une pièce de théâtre classique, on assiste à une scène se déroulant le même jour, à la même heure, dans le même immeuble. La même scène vécue par différentes personnes dont les dialogues se recoupent, s’entrecroisent et se répondent parfois. Mais rarement. Car chacun est enfermé dans cette heure suspendue, cette heure à remplir de toute une vie.
Il y a ceux qui n’y croient pas et meurent ; ceux qui y croient et ne veulent pas partir ; ceux qui y croient, mais qui ne veulent pas partir sans le chien, que les soldats abattent ; ceux qui emportent le chien, caché ; un manteau puis le laisse ; des choses utiles ou inutiles à la survie du corps, mais utiles à la survie de l’âme ; des souvenirs ; un instant passé ; un espoir, quand même. Ceux qui laissent un texte pour le dire.
On ne sait où ça se passe ni quand ça se passe. Chacun et chacune peut (re)penser à sa guise à des moments pareils, vécus ou entendus, partagés de loin ou de près. Être ému.
Pour son premier roman, Avril Bénard nous propose une prose très personnelle, à la syntaxe désobéissante et aux images poétiques par leurs associations pointues et subtiles.
Citations
– p 44 « Nommer le monde, c’est le reconnaître, c’est le respecter. Ce n’est pas nécessaire, et cela ne nous rend pas propriétaire. Mais c’est faire grand cas de ses nuances, c’est en être curieux. »
– p 86 : « Celui qui a dû s’exiler une fois dans sa vie, celui qui a eu tout à quitter déjà, on croirait comme ça qu’il peut partir de partout, que c’est devenu facile, qu’il sait comment s’y prendre, comment s’arracher. Qu’il a dû acquérir cette sagesse dont personne n’est capable véritablement, pourtant : celle de ne tenir à absolument à rien. »
– p 93 : « Marek était un prisme qui changeait la lumière. On avait les yeux neufs, on se répétait la phrase, et puis on oubliait la phrase ; mais il nous en offrait une autre, quelques jours plus tard. Il lisait pour nous. »
– p 168 : « On tue par amour, on ne tue pas par curiosité. Celui qui est curieux de l’autre, et de ce qui l’entoure, lui fait de la place, dans sa compréhension. Ne pas être curieux c’est ça qui rend blasé, C’est ça qui rend amer, C’est ça qui rend méchant. »