Jean Teulé, Darling
Julliard 1998, 242 p.
Le roman de Jean Teulé est construit sur l’interview de Catherine Nicolle réalisée par son cousin. Au cours de cet entretien, la jeune femme relate l’histoire de sa vie. Avec une soumission et une passivité irritante, elle accepte l’horreur d’un quotidien à la limite du supportable physique et psychologique. Son témoignage est à la hauteur de ce qu’il décrit – rejet parental, coups, viol (individuel et en groupe), perversions sexuelles conjugales, injures, etc., – c’est-à-dire violent, brutal, éprouvant !
Quant à la retranscription de ce dialogue fictif, l’auteur en a gardé la vulgarité et la naïveté, la férocité et l’humour (noir) du langage et des situations. Et si parfois, le lecteur ou la lectrice se dit : stop ! n’en rajoutons pas ! Eh bien, il faut se rappeler que la réalité dépasse souvent la fiction et que le chemin de croix de certaines femmes est d’une incompréhensible inhumanité.
Mais en dépit de tout, la malheureuse Catherine surnommée « tartine », possède une force physique qualifiée de « bovine » qui lui permet d’endurer les humiliations et les sévices, l’enfer de la maltraitance et du manque d’amour, qu’elle recherche pourtant désespérément. Si elle se fait appeler « Darling », c’est dans l’espoir précisément de susciter un peu d’affection.
Darling donc, depuis son enfance paysanne qu’elle exècre, ne rêve que d’une chose : partir. Les routiers qui roulent devant la ferme appelée « Barberie » qu’elle renomme « Barbarie » avec le A d’une plaque d’immatriculation nationale d’un camion (pour Autriche, par exemple) constituent, selon elle, la seule solution pour échapper à son milieu (la paysannerie et le maquignonnage obscène), à ses parents (qui ne voient en une fille qu’une bouche inutile bien qu’ils la fassent travailler dur) et à un destin tout tracé d’indifférence et d’esclavage. Incidemment, ils sont aussi la source des premiers émois charnels. L’obsession de la fuite et la recherche du plaisir engendrent son accès à l’alphabétisme, non pas qu’elle devienne érudite, mais c’est avec les mêmes plaques d’immatriculation de camion qu’elle apprend à lire et à écrire, surmontant son illettrisme congénital. Malheureusement, cette incarnation lui fera passer à côté d’alternatives qui auraient pu lui être bénéfiques, même si à la toute fin, elle tente d’effacer son passé et d’aller de l’avant.
Citations :
– p 45 : « Le père avait dû prévoir cette réponse car il avait déjà sa ceinture enroulée autour d’un poing. Il se leva et boxa sa fille de onze ans en pleine poitrine. Cueillie à froid, elle tomba à genoux comme un sac de sable derrière la chaise de sa mère. Georges déroula la ceinture et lui fouetta le dos, les bras et les jambes. »
– p 103 : « – Belle paires de loches. T’as un fiancé ? / Catherine rougit. / […] – Dis donc, ça serait le jackpot pour toi, Nicolle ! Allez, retourne-toi maintenant, continua Tuvache. Hanches larges… Ça va nous chier des Blandamour à tire-larigot, ce machin-là… »