Fred Vargas, Dans les bois éternels
J’ai lu 2009, 478 p.
Le titre tout d’abord. Convenons qu’il ne s’agit pas d’un polar forestier, malgré la couverture illustrée et le fait que ce soit le lieu de vie des cervidés.
Rappelons donc les différentes acceptions du mot “bois” dans le livre : en premier, le bois (ou les bois) est évoqué lorsqu’on y retrouve des cerfs massacrés. Il est question ensuite des cors de ces animaux, communément appelés “des bois”. Enfin, le bois est (principalement ) la matière dont est fabriquée la croix du Christ…
Long à démarrer, car beaucoup d’informations qui ne semblent pas avoir un lien proprement dit avec l’enquête (Clarisse, le voisin espagnol, la séparation sentimentale, la maison récemment achetée, etc.) s’entremêlent au début.
Si l’expression « pelleteux des nuages » est à mon avis bien choisie, je me demande si l’autrice ne force pas le trait en regroupant une équipe de bras cassés dirigée par un commissaire du genre antihéros ?
Le rappel fréquent d’autres enquêtes (et donc d’autres livres) produit un effet de réel qui nous incite à aller lire d’autres fictions (Debout les morts, Sous les vents de Neptune).
Puis un rebondissement redresse l’attention du lecteur ou de la lectrice. Toutefois et bien que je sache que les chats peuvent parcourir des kilomètres pour retrouver leur foyer, je me suis demandée comment « la boule » a su que c’était ce qu’on lui demandait, ce jour-là, alors que ça faisait sept jours que Violette Retancourt, lieutenant favorite du matou, était absente ? Le chat n’est pas un chien policier qui obéit sur ordre, ni sur le simple souvenir de l’odeur des vêtements absents… Mais cela m’a amusée de voir la police se ridiculiser un tant soit peu avec ses nombreuses voitures, escadrons et hélico filant une journée entière un petit félin mou qui, d’un seul coup, couvre plus de 35 km sans s’arrêter.
Enfin, la découverte du tueur/tueuse puis son arrestation vers la fin est soudaine et surprenante, comme s’il fallait boucler le livre dont le volume commençait à grossir nettement. En même temps, elles corroborent ce que l’on a donné à voir depuis le début, comme autant d’indices fournis, à l’instar du syndrome du membre manquant chez le voisin du commissaire et du fantôme dans son grenier.
Les vers de Racine et l’histoire des bouquetins sont sans aucun doute originaux et distrayants, mais on peut craindre qu’ils n’éparpillent la concentration légitimement due à une enquête qui devrait être plus condensée, plus centrée sur le suspense et la stratégie.
C’est vraisemblablement la raison pour laquelle Fred Vargas a inventé la catégorie du rompol : mi-roman mi-polar où l’on peut se permettre des digressions et des descriptions plus nombreuses. Cela en fait la particularité de l’autrice, que j’apprécie par ailleurs. Bien que j’en aie goûté l’humour et la dérision, Dans les bois éternels ne m’ont pas convaincue outre mesure.
Citations :
– p 48 : « Adamsberg développait une théorie inverse à celle du grignotage, posant que la somme d’incertitudes que peut porter un seul homme dans un même temps ne peut pas croître indéfiniment, atteignant un seuil maximal de trois à quatre incertitudes simultanées. Ce qui ne signifiait pas qu’il n’en existait pas d’autres, mais que seules trois ou quatre pouvaient être en état de marche dans un cerveau humain. Que donc la manie de Danglard de vouloir les éradiquer ne lui servait en rien, car sitôt qu’il en avait tué deux, la place se libérait aussitôt pour deux nouvelles questions inédites, qu’il n’aurait pas connues s’il avait eu la sagesse d’endurer les anciennes. »
– p 49 : « Selon l’humeur, selon les aléas du moment, portant à la nervosité ou à l’indulgence, on pouvait être positiviste un matin et se retrouver pelleteux des nuages le lendemain, et vice versa. »
– p 158 : « — Cessez là ce combat, Seigneur. / Par la force et la ruse vous menâtes cent batailles, / Et sous vos coups tombèrent remparts et murailles. / Mais ce mur qui se dresse et jamais ne se plie / Résistera toujours, il a pour nom folie. »