Ecrit : “Rose”
Texte écrit pour Octobre Rose en soutien à la Ligue contre le cancer du sein.
— Rose, toujours rose, rose parce que je suis une fille, je suis symbolisée, idéalisée ou stigmatisée par la couleur rose. Mais je ne suis plus une fille, je suis une femme et les femmes passent au rouge, couleur ardente, avant de choisir le mauve, lorsqu’elles prennent de l’âge.
— Tu n’es pas sérieuse. Le rose n’est pas que pour les petites filles, beaucoup de femmes en portent.
— Ah oui, je le vois bien ! En jogging rose pour se faire remarquer, avec leur téléphone à coque rose pour faire genre – je ne parle pas du téléphone rose aux spécificités que l’on connait – mais bon, il y a du rose partout lorsqu’il s’agit de marquer la différence. C’est la couleur élue par la ligue contre le cancer du sein.
— C’est juste une couleur.
— Une couleur qui nous colle à la peau, si je puis dire sans jeu de mot ! Et depuis la naissance : bleu pour les garçons, rose pour les filles !
— C’est précisément la couleur de la peau des occidentaux. D’ailleurs on dit Les blancs, mais on est plutôt rose de peau non ?
— Mais les hommes n’auraient pas aimé qu’on les appelle Les roses !
— C’est drôle en effet, ça fait bizarre non ?
— Qu’est-ce qui fait bizarre ? Que la fille-femme-femelle soit désignée par cette couleur ? Sensuelle, certes, tellement sensuelle qu’elle ne s’attache qu’au corps, à la nudité, on ne voit la féminité que par la chair et la chair, c’est la sexualité. Moi, je ne suis plus montrable nue, je suis dissymétrique. Je ne suis plus désirable, un sein en moins. Je ne suis plus féminine, donc je ne suis plus une femme.
— Je comprends ta colère devant cette injustice. Laisse-toi aller, parle, crie, pleure, mais rappelle-toi que tu es en vie et que cette vie qui autrefois n’aurait pu être sauvée te donne la possibilité de dépasser tes infortunes pour savourer les joies qui te sont encore offertes.
— Savourer, avec un goût amer dans la bouche…
— Au contraire. Pense au bonbon rose, cette petite gourmandise enfantine.
— Je ne suis plus une enfant, je te l’ai déjà dit. La gourmandise n’est pas pour moi, elle est pour ceux qui me regardent, toute de rose vêtue comme un bonbon ambulant justement, bon à saisir et à goûter. Pourquoi crois-tu que nous aiguisons tant l’appétit ? On véhicule l’image d’une réjouissance à portée de main.
— N’exagère pas. Le rose est la couleur de la rose. Bien qu’il y en ait de toutes les couleurs, la première devait être rose.
— Ah oui. Comme Ève, et comme ma grande tante Rosie.
— Et pourquoi ses parents l’ont-ils appelée Rose ? Parce qu’elle ressemblait au bouton de la fleur qui va éclore et s’épanouir avec les jours.
— Ou qu’ils étaient à court de prénom ! On a eu assez d’Iris, Camélia, Jacinthe, Marguerite, Capucine etc., on est passé aux fruits : clémentine, Olivia, Prune, Amandine…on hume et on croque ensuite !
— La douleur te rend excessive.
— Tu as remarqué que pas un seul de ces prénoms est masculin ? Comme ce cancer d’ailleurs, il n’est que féminin !
— C’est vrai.
— C’est pour ça qu’on a décrété qu’il serait rose. Pour le rendre plus joli, peut-être, moins affreux ?
— Sans doute. En dédramatisant la maladie on la rend plus supportable.
— En élargissant la visibilité d’une cause commune, on combat ensemble ?
— Sans aucun doute.
— Le rose devient un étendard et tant pis ou tant mieux pour ce qu’il représente : la chair est notre chair meurtrie, la féminité ne se calcule pas en demi femme et notre appartenance à l’humanité demeure grâce à notre volonté face au danger.
— Je te rejoins entièrement.
— Je te remercie pour ta sollicitude mais tu n’es pas concernée. Moi seule suis atteinte.
— Je suis consciente que je ne peux pas ressentir la même chose que toi mais je me sens concernée, tu es mon amie, ma sœur, ma mère, ma fille…
— Je me sens d’un coup très nombreuse !
— Je ne plaisante pas. Et puis, si ça se trouve, je serai diagnostiquée bientôt, qui sait ? Et tu seras moi, demain peut-être !
— Oh là là. Ben là, j’aimerais mieux pas.
— Tu imagines ?
— Allez, efface ce sourire ironique de ta face. Ta vie changera.
— En effet, mais j’espère que tu seras là comme je suis là pour toi aujourd’hui.
— Combien d’années me reste-t-il ? Tu n’en sais rien et moi non plus. Alors cessons de faire des projets, ma grande.
— Eh bien « ma petite », oserons-nous faire le pari ? Rien que par défi ?
— Et Le jour d’après, après l’apocalypse comme dans un film américain bien spectaculaire, un autre Octobre Rouge, rouge sang ou rose – peu importe vraiment –comme un thriller de Tom Clancy, traquée, méprisée, je passerai de l’autre côté de la défaite, de cette trahison oui, de cette défection en effet.
— La vie reprendra ses droits, comme on dit.
— Cliché rose bonbon pour bien avaler la pilule! Je suis une autre depuis. Et « L’enfer, c’est les autres » selon Sartre. Il faut donc que je supporte et que je coexiste sans détester rien ni personne. Je coexiste donc avec moi-même ou avec l’ancienne moi qui n’existe plus. « Pas de besoin de gril », la métastase fera l’affaire. Le crabe a la chair blanc rosé lui aussi.
— D’accord, restons dans la couleur de nos sentiments. Je te mets La vie en rose, version Piaf ou Armstrong ?
— Tu m’as déjà dit des mots de tous les jours, et ça m’a fait quelque chose. Mais je ne sais pas si l’homme auquel j’appartiens aimera mon portrait avec retouches.
— Il va bien falloir que tu lui annonces.
— J’en suis bien consciente. Il est entré dans mon cœur une part de malheur dont je connais la cause. Je ne suis pas sûre de ne pas casser mon image, son illusion dans mon miroir et que ses promesses, jurées pour la vie feront battre son cœur autant que le mien, malheureux ou heureux encore, à en mourir ?
Publié sur Shortédition.