
Émile Zola, La faute de l’abbé Mouret
(Éd Charpentier 1875), Livre de poche, lu en numérique (Project Gutenberg, 363 pages).
L’amour impossible a toujours été un des grands thèmes de la littérature et les couples mythiques sont nombreux : de Tristan et Iseut ou Héloïse et Abélard, à Roméo et Juliette ou Orphée et Eurydice. On peut citer plus récemment La Princesse de Clèves et le duc de Nemours, Heathcliff et Catherine, Julien Sorel et Mme de Rénal, Cyrano et Roxane, etc. Les obstacles sont divers et variés.
Toutefois, le propos d’Émile Zola n’est pas (uniquement) celui de l’amour et de ses motifs. Il met en évidence les contradictions de la nature et de la religion.
Le récit se divise en trois parties : 1- la cure et l’élévation, 2- la passion et la faute, 3- l’agonie et l’expiation.
C’est un plan classique (peut-être un peu trop) avec un final tout aussi conventionnel : funeste pour la jeune fille (représentant l’amour et la déraison) et dans l’ordre des choses pour le jeune homme (représentant l’église et la discipline).
Le lieu mis en scène pour cette histoire amoureuse s’appelle le Paradou (référence manifeste au Paradis), dans lequel la jeune fille est maîtresse, une fille-fleur innocente mais charnelle, tantôt considérée comme une fée (p 48), tantôt comme une sorcière ( p 71). Depuis le début de sa vocation, Serge Mouret voue un culte à la Sainte Vierge et son adoration de la féminité le prédestinait à “moins aimer Jésus”, selon le frère Archangias (archange ou ange protecteur(?), vainqueur de Satan). Albine conduira Serge à l’arbre de vie, arbre de la connaissance, de la sexualité et de la faute, cause de la chute du jeune abbé. Le “trou” dans le mur qui ceint le Paradou, le ramènera à la vie extérieure, au village des Artaud et à ses devoirs antérieurs. Assez classiquement encore, l’abbé repenti se détournera de la femme qu’il a fait sienne et des promesses jurées. Il l’abandonnera ainsi que le fruit de leurs ébats. L’église demeure “une forteresse inexpugnable” (p 292) malgré les barricades dressées par la nature révolutionnaire (p 311).
Le portrait des personnages est poussé : Albine : la tentatrice ; Serge : la victime d’une lutte interne ; la Teuse : la bonne du curé acariâtre ; le frère Archangias : le misogyne rongé de désirs inassouvis ; Jeanbernat : le philosophe, Désirée : la simplette heureuse… La caricature se dessine mais reste efficace, sinon sibylline.
Les béatitudes puis les tourments et enfin la rédemption de l’abbé Mouret sont abondamment décrits avec force détails et intensité, au détriment d’une concision que des lecteurs actuels préféreraient sans doute. Les scènes paysannes et leurs dialogues sont également très documentés et fournis. L’auteur a déployé l’apparat des procédures religieuses, l’étendue de ses connaissances en botanique et l’amplitude des champs sémantiques du corps et de ses désirs, de la transe et de la volupté.
La Faute de l’abbé Mouret est paru en 1875. Il s’intègre dans la série Les Rougon-Macquart. Cinquième volume, il fait suite à La Conquête de Plassans qui, en premier, abordait le sujet du catholicisme. Reprenant la parabole du jardin d’Éden, d’Adam et Ève et de l’arbre de vie, ce roman est une critique violente contre le clergé, contre une Église inhumaine, et une foi qui conduit à la lâcheté ou à la folie.
Citations:
– p 127 : « Tu m’apportes tout le jardin dans ta jupe. »
– p 130 : « Nous aurons de quoi marcher toute notre vie.»
– p 226 : « C’est le monde qui va se mettre entre nous. »
– p 312 : « L’arbre de vie venait de crever le ciel. »
– P 319 : « Maintenant que le désir ne l’affolait plus, le côté pratique de la situation l’épouvantait ».