Boris Vian, L’Herbe rouge
1950, Le Livre de poche, Pochotèque, 1343pages
En butte à une profonde déception et las de tout, Wolf construit une machine capable d’effacer ses souvenirs après les avoir rappelés.
À bord, il entre dans une monde imaginaire jalonné par différents personnages qui l’interrogent. Il se rend ainsi dans quatre pièces où on lui demande de sonder ses sentiments passés, sur les thèmes des parents (hyper protecteurs), de la religion (hypocrite et inutile), des études (trop longues, trompeuses), de l’amour (compliqué), du travail (usant)…
Comme dans de nombreux écrits de Vian, on retrouve ici des aspects autobiographiques et des thèmes récurrents : l’amour, la violence, la maladie, etc. L’herbe rouge aborde ces principaux refoulements, regrets ou obsessions, à la manière d’un jugement dernier (St Pierre à la porte de l’au-delà) ou d’une psychanalyse (qui échoue).
Une ambiguïté existe chez cet auteur, sur le thème du féminisme : les femmes apparaissent comme futiles, et lucides à la fois. Elles demeurent en vie alors que leur conjoint décèdent. Chez les hommes, on perçoit le désir d’une égalité partagée (rappelons que ce texte a été écrit avant mai 68), en vue d’une plus grande liberté et d’une plus grande franchise (moins de tracas et moins de douleurs, peut-être?).
Boris Vian remet en cause le monde dans lequel il se sent à l’étroit, avec son style unique et inclassable.
En ce qui concerne le titre : L’Herbe rouge, il y est fait mention plusieurs fois (p430, 440…) sans expliquer pourquoi elle est rouge ni pourquoi cela ne dérange personne. Dans un monde utopique ou le raisonnable se trouve dans l’imaginaire et le déraisonnable dans la réalité, l’herbe est rouge. La violence imprègne le roman et le sang coule à plusieurs reprises. l’herbe est “de sang” (p 470), “sinistre” (p 514), les montants de la machine sont d’un rouge “poisseux comme du sang frais” (p 482), les fleurs sont “sanglantes”(p 439), etc.
Boris Vian est usager des inventions de toutes sortes dont il se sert pour créer un langage unique, déroutant et poétique. La machine d’acier fait elle, penser à un voyage temporel dans le genre science-fiction, dans la lune (à la manière d’un Savinien de Bergerac), et dans le passé (la machine à explorer le temps, H. G. Wells, entre autres). Écrit sur le mode fantastique au ton décalé, l’absurdité ne ressort que mieux de ce court roman, qui ne réussit pas à masquer le tragique de l’histoire. Car c’est après une quête ratée d’absolu que le protagoniste (Wolf, le loup) plonge petit à petit dans le pessimisme et la mort.
citations :
p 439 : ” L’herbe sent bon, dit Wolf. L’herbe et toi. Il y a plein de fleurs. Qu’est-ce qui sent le muguet? il n’y a plus de muguet maintenant.”
p 454 : “Wolf se pencha pour le cueillir et le goût de l’œillet le frappa et l’étourdit. Il le manqua. L’œillet s’éteignit et sa couleur se confondit avec celle du sol”.