
Hervé Brunon (dir), Le jardin comme labyrinthe du monde
Musée du Louvre Editions, 2008, PRESSES DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS-SORBONNE, relié 354 p.
Beau livre au papier glacé, aux illustrations soignées et en couleurs : c’est un collectif d’articles dont Hervé Brunon est le directeur, qui en écrit l’introduction et un des article de la première partie, la préface est d’Henri Loyrette et l’avant-propos est signé Monica Preti-Hamard. Ensuite, les auteurs et autrices provenant d’horizons différents (histoire de l’art et des jardins, philosophes, création littéraire et artistique…) se partagent deux parties depuis la « Renaissance aux Lumières », jusqu’aux « renouveaux contemporains ».
Le labyrinthe est un symbole universel récurrent au fil des siècles. Son image est reproduite dans tous les arts : plastiques, décoratifs, littérature, poésie, architecture, sculpture…et le paysagisme que l’on appelait auparavant l’art des jardins.
Pourquoi un tel engouement ? Cette forme n’est pas la seule à inspirer l’esprit humain. Les formes élémentaires (rond, carré, spirale, etc.) inspirent le quotidien. La roue, une structure simple de l’habitat reproduisent ces grands principes figuratifs. L’occupation spatiale et les activités humaines illustrent par ailleurs, une représentation du cycle temporel comme celui du néant, du chaos ou de l’ordre.
Le rapport entre nature et culture, le naturel et le construit (p 212) reflète notre conception de l’univers tel que nous l’envisageons, à notre échelle. Il détermine notre façon de penser, rêver, agir. La forme labyrinthique dévoile une angoisse ou une interrogation, une épreuve ou un jeu, une façon de transcender physiquement les méandres de notre esprit curieux. Cette forme, un moment démodée, semble éternellement renaître de ses cendres, tel le phénix qui jamais ne meurt.
Depuis l’origine que l’on attribue aux héros mythologiques (Minos, Pasiphaé, Minotaure, Thésée et Ariane), une mutation s’est opérée, signalée par l’historien Paolo Carpeggiani : « Le labyrinthe au sens propre sous-entend un parcours difficile, tortueux, mais dont l’issue est certaine ; en revanche, l’Irrgarten [maze, dédale] figure l’exaltation de l’irrationalité, il renverse le concept de « la vertu qui triomphe du destin », l’un des dogmes de la culture humaniste » (p 31).
Il convient donc de faire la distinction entre labyrinthe et dédale (« labyrinth » et « maze » provenant de « mazed » : “surpris” en anglais, p 51, 71, etc.). Le labyrinthe n’a qu’un seul itinéraire pour arriver au centre : il contribue à une initiation, à un ordre mental, alors que le dédale peut suivre plusieurs voies, ce qui provoque l’égarement, mais également le libre arbitre selon St Augustin (p 30).
Ce livre nous propose d’explorer la « triade » de la superposition symbolique du jardin, du labyrinthe et du monde (p 18).
NB. Ce livre a été ajouté à la bibliographie de mon « écrit en cours » – Mes projets.
Citations:
– p 32 : « Si l’on peut schématiquement les distinguer [« les traditions herméneutiques »] pour en résumer la substance et l’évolution, elles s’entrelacent en réalité : le labyrinthe comme symbole tour à tour de la vie, de la danse, de la cité, de l’ingéniosité, de l’amour et de la connaissance. »
– p 33 : « Le mythe du labyrinthe comporte « l’idée d’une descente aux enfers, où l’initié seul sait trouver son chemin, instruit par l’enseignement d’une déesse ». Le symbole évoquerait les liens de la vie et de la mort. »
– p 46 : « Socrate compare à un moment donné la recherche maïeutique de la vérité, conduite par les interrogations et tâtonnements successifs, à la traversée d’un labyrinthe spiraliforme. » (sic)
– p 47 : « Penser, suggère le philosophe et psychanalyste Cornelius Castoriadis en citant Rilke : « c’est entrer dans le labyrinthe, plus exactement faire être et apparaître un Labyrinthe […]. C’est se perdre dans des galeries qui n’existent que parce que nous les creusons inlassablement, tourner en rond au fond d’un cul-de-sac […] jusqu’à ce qu’une rotation ouvre, inexplicablement, des fissures praticables dans la paroi ». »
– p 48 : « Internet. L’infinie toile arachnéenne […] pour répondre […] à un autre concept cognitif d’origine végétale, théorisé par Deleuze et Guattari : le rhizome »[…]. »
– p 50 « Le jardin a l’ambition d’être une image du monde ; il fait servir à ses fins la lumière du ciel, la fraîcheur de l’eau, la fécondité de la terre, les végétaux et les hôtes des forêts et des campagnes. Il est une mise en ordre du monde. Un jardin commence dès l’instant où une volonté humaine impose une fin immédiatement sensible aux « objets naturels », c’est-à-dire à ce qui naît, croît et meurt selon les lois de la nature. » Pierre Grimal.
– p 57 : « la conservation des jardins, dont la « permanence éphémère » se cristallise en quelque sorte dans le labyrinthe, structure fragile et labile. »
– p : 86 : « […] une géographie allégorique, partiellement apparentée à la Carte du Tendre et rattachée en fait au répertoire des topoi dont l’esthétique pittoresque cultive l’imaginaire. Cette géographie montre la capacité du jardin à représenter des lieux réels ou fictifs, sa propension à l’ « hétérotopie » comme dirait Foucault, ou même à « l’hypertopie » ainsi que le suggère Monique Mosser, c’est-à-dire l’accumulation de lieux multiples en un seul espace. »
– p 135 : « Le labyrinthe se trouve par conséquent identifié comme la forme spatiale la plus complexe par le tracé des allées, représentant le summum du dessin architectural de jardin. »
– p 177 : « Le jardin apparaît converti en un « résumé de la vie », que l’on peut parcourir physiquement – ou encore spirituellement – en une brève promenade. »
– p 217 : « Que l’on restaure des labyrinthes et dédales historiques, enfin tenus pour des éléments essentiels du patrimoine paysager, voilà qui mérite d’être applaudi. Mais ce qui suscite par-dessus tout la surprise et l’enthousiasme, c’est le retour des antiques symboles du labyrinthe à itinéraire unique, aussi bien dans le cadre religieux et à des fins spirituelles que dans des lieux publics, où le graphisme intemporel continue de séduire. »
– p 240 : « Alors qu’un monologue peut se comparer à un labyrinthe, conduisant d’un point à un autre par des détours, un dialogue en revanche peut se transformer en dédale […] »