
Jean Hanff Korelitz, Le piège
Le cherche midi, 2022, 412 p, (Titre original : The Plot).
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Masse Critique » de Babelio dont je remercie les organisateurs ainsi que les éditions mentionnées.
Jacob (Jake) Finch Bonner est un auteur en peine d’inspiration. Après un premier bon roman, il dérive et régresse. Le début du roman de Jean Hanff Korelitz progresse donc lentement, puis lorsque l’enquête démarre réellement, on se prend à vouloir vérifier ses intuitions.
Étant donné que le récit alterne avec des extraits du livre publié (Réplique), le kaléidoscope commence à fournir des indices. Tandis que la mise en abyme permet d’entrer dans les coulisses de l’édition un débat est initié sur la création artistique et son pendant négatif que sont le plagiat, l’usurpation et le vol (p 87, 89, 98, 102, 193, etc.). Le sujet est délicat pour les auteurs/autrices qui naviguent entre inspiration, références et copie ; des principes également intéressants à connaître pour les lecteurs et lectrices.
L’intrigue du (des) livres(s) commence par une histoire d’adolescente, qui prend un tournant tragique lorsque la trop jeune fille est trompée par le mensonge de son amant. Ensuite, c’est une histoire de famille lorsque l’intelligente fille cadette dont les parents se désintéressent au profit du fils aîné qui ne le mérite pas, est soumise à la décision punitive de leur autorité. Quand son frère, Evan Parker entreprend d’écrire son histoire pour la faire publier à des fins égoïstes, il est relayé finalement (et involontairement) par celui à qui il en a dévoilé des bribes. Le « méfait » rattrape l’auteur à succès (Jake) et déclenche l’enquête à rebours.
La première de couverture illustre le sujet remarquablement puisque le livre fictif s’insère dans une réalité décaissée, les pages manquantes représentant Le piège tendu.
Jean Hanff Korelitz continue de jouer sur ces notions jusqu’à la fin : « La deuxième version de Réplique serait un métarécit destiné à justifier chaque écrivain et à parler à chaque lecteur, et ferait de lui un artiste audacieux. »(p 372). En outre, elle justifie le titre « réplique » qui selon le dictionnaire signifie : « vive réponse », « copie d’une œuvre » ou encore « nouvelle secousse sismique ».
L’ironie se retrouve dans la phrase « n’importe qui peut être auteur », récurrente et conclusive pour le présent roman. On reste au cœur du problème et du métier d’écrivain lorsque l’égo surdimensionné et la foi dithyrambique d’Evan pour son intrigue glisse sur le roman « remanié » de Jake et donc par extension sur celui présenté par Jean Hanff Korelitz. Pourtant, l’écriture de ce « roman final » reste très simple et l’on regrette parfois qu’il le soit même un peu trop. Quoi qu’il en soit, la lecture est fluide et le dénouement est aussi tragique que la machination élaborée.
Ps : Jean Hanff Korelitz, autrice de Les premières impressions a vu son livre adapté au cinéma avec la série “The Undoing” en 2020 (titre original : « Dream a Little Dream of Me »). C’est un « long film » psychanalytique sur la famille bourgeoise idéale qui démontre que les apparences sont trompeuses (répertorié dans ma liste ici, voir aussi BA ici).
Citations :
– p 87 : « Pour se montrer à la hauteur d’une telle responsabilité, il fallait se forcer à faire face à la page blanche puis rabattre le caquet des critiques dans sa tête, au moins le temps d’accomplir une partie de ce travail ardu dont aucune étape n’était facultative. En outre, il vous fallait garder un sentiment d’urgence réelle. Si vous vous en éloigniez, c’était à vos risques et périls, car vous pourriez bien vous apercevoir, après une période de distraction ou même de manque d’engagement dans le travail effectué, que votre précieuse étincelle vous avait…eh bien, abandonné. »
– p 87 : « Une grande histoire, autrement dit, désirait être racontée. Et si vous n’alliez pas vous en charger, elle se taillait chez un autre auteur qui le ferait. »
– p 89 : « Jake n’avait absolument pas invité l’étincelle brillante que son étudiant avait abandonnée (bon, d’accord, abandonné involontairement) à venir à lui, et pourtant, c’était ce qu’elle avait fait. Elle était là désormais. Qu’allait-il faire ? »
– p 98 : « Car, même si ce qu’il avait fait n’était pas quelque chose de mal, pas du tout, c’était quand même un peu…mal. »
– p 102 : « Cette transmission, d’une main à une autre, d’un cerveau à un autre par la merveilleuse alliance du langage écrit et de la puissance de la narration.”
– p 119 : « Quand je rencontre des lecteurs à ces événements et qu’ils me présentent un exemplaire en piteux état parce qu’ils l’on fait tomber dans le bain, ont renversé du café dessus ou plié les coins des pages, c’est la meilleure sensation du monde. »
– p 193 : « Si on pouvait avoir des droits sur une intrigue, il n’y aurait plus de romans du tout »
– p 195 : « C’est encore une fois ces conneries sur l’appropriation. On ne devrait pas créer un personnage noir si on n’est pas noir. On ne devrait pas situer son récit dans le Kansas si on a grandi à Los Angeles. »
– p 225 : (note de la traductrice) “1. Le « mansplaining », de l’anglais « man » (homme) et « explaining » (expliquer), désigne une situation dans laquelle un homme explique avec condescendance à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte.”