
Goethe, Les affinités électives
Folio 1980, 345 pages.
Je relis ce livre à plusieurs années d’intervalle. Ma première lecture, dans le cadre de mes études, avait été axée sur le thème principal, que l’on défende ou non qu’il soit celui du mariage ou du divorce. Il est vrai que sur ce point, Goethe se place de façon très moderne, tant sur le plan de la promotion des femmes que sur la valeur du contrat moral plutôt que religieux.
Néanmoins, je déplore une fin très « classique » selon laquelle la jeune fille, objet innocent de la tragédie, s’auto-punit (elle se retire afin de se transcender : « Elle ne s’est pas écartée de moi ; elle s’est élevée au-dessus de moi » (p 317), un élément que l’on retrouve chez André Gide dans La porte étroite), et à laquelle succède la mort très mélodramatique de l’amant. L’amour impossible à la Roméo et Juliette prend encore ici des détours et suit des rebondissements mais demeure sous la coupe de la fatalité. L’enfant né de ces « affinités électives » (p 289) et qui en porte les stigmates (double ressemblance que l’on retrouve chez Paul Claudel, L’annonce faite à Marie) se noie « parce que » la jeune fille est déséquilibrée par le nourrisson et le livre qu’elle tient dans les bras et la main du même côté. Le symbolisme est par trop flagrant et étonne, comme si Goethe encourageait les jeunes filles à la culture mais lançait un avertissement aux mères (nourrice, garde d’enfant) sur sa dangerosité. Charlotte déclare d’ailleurs : « Qu’est-ce qui ne s’efface pas aussitôt, qu’est-ce qui ne tombe pas dans l’oubli, dès qu’une femme devient maîtresse de maison ou mère ! » (p235).
Le « double adultère » (en intention mais non consommé) est une illustration romanesque des principes d’élection chimique expliqués par les personnages eux-mêmes (p 60 à 63). Ils dévoilent, semblent justifier et précipitent dans l’inéluctabilité les attractions mutuelles qui accompagnent une théorie de « mariage à l’essai ». Cependant si la preuve est faite en ce qui concerne la baronne et le comte, elle échoue dans le cas d’Édouard et d’Odile (Un autre paramètre peut entrer en ligne de compte ( ?), à savoir la différence d’âge et d’expérience : le couple baronne/comte est assorti alors que celui d’Édouard/Odile ne l’est pas). Charlotte discute la notion de prédestination que semblent imposer Édouard et le capitaine sur le plan humain et propose des arguments pragmatiques qui montrent notamment que les changements sont souvent produits par l’occasion plutôt que par le choix ou la nécessité : « Permettez-moi d’avouer, dit charlotte, que, quand vous appelez affinité le rapport qui existe entre vos être singuliers, ils me paraissent, à moi, avoir entre eux moins une affinité de sang qu’une affinité d’esprit et d’âme ». Cependant, lorsqu’elle plaint « le pauvre acide aérien condamné à errer de nouveau dans l’infini » (p 63), et bien qu’Édouard avance que les chimistes « ajoute un quatrième, afin que personne ne s’en aille tout seul » (p 64), elle anticipe le sort qui lui est réservé.
Le journal d’Odile débute à la deuxième partie du roman alors que la jeune fille ressent la solitude et que son imagination « travaille » (p 189). Il est constitué de notes, réflexions, maximes dont on sait qu’elles sont de Goethe lui-même. Elles ne font pas progresser l’intrigue mais offrent un aperçu de la profondeur (de l’auteur, qu’il prête au personnage), de ses vues sur la société de son époque. Goethe en profite donc pour y inscrire un hymne à la nature, à l’authenticité du réel, du concret, du vivant : « Avec les arbres qui verdissent, fleurissent, portent fruit autour de nous, avec chaque arbuste devant lequel nous passons, avec chaque brin d’herbe sur lequel nous marchons, nous avons de vrais rapports : ce sont nos véritables compatriote » (p 241).
Plus loin, l’insertion d’une nouvelle dans le roman produit une mise en abîme qui fera figure de nouvelle prédiction (p 264) : « Je ne pensais pas qu’un sort pareil m’attendit » (p 303).
La lecture d’un tel roman est à l’instar du « fil rouge » (p 200) qui conduit le journal d’Odile : intime, sensible, conforme au goût de l’époque, et en même temps sa pertinence a été jugée impertinente et ce, malgré la mort (Dieu, la fatalité) qui résout finalement la question.

Ma seconde lecture aujourd’hui se penche plus particulièrement sur le thème du jardin puisque mon essai sur le végétal ne peut manquer de faire référence à cet inestimable roman. Je relèverai donc ce qui fait des Affinités électives un exemple de l’intérêt de son siècle pour l’horticulture et l’art des jardins et je m’en servirai comme outil d’analyse afin de comprendre la passion esthétique qu’il entraina et qui diffuse encore de nos jours dans notre société sur des principes soit identiques, soit différents.
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Il est notoire que Goethe avait le goût des jardins. On lui attribue l’arrangement du parc de Weimar où il résida dans une maison que l’on peut voir encore aujourd’hui. Ce roman est une parfaite mise en pratique romanesque de l’intérêt et des principes paysagistes de l’auteur.