
Gilles Paris, Autobiographie d’une courgette
J’ai lu 2002, 255 p
Icare s’appelle Courgette. Quel drôle de nom! Et peu importe si on ne sait pas pourquoi ses parents lui ont donné ce prénom … et ce surnom. Courgette donc se décline sur le mode simple ou avec déterminant (la courgette), adjectif possessif (ma courgette) et il arrive même qu’elle devienne une expression : “ne fais pas ta courgette!”
En tout cas, le sobriquet est entièrement assumé. On n’a pas de mal à comprendre pourquoi. Le petit Icare qui s’est brulé les ailes, va toutefois pouvoir s’envoler grâce à sa façon de voir “la vie en couleurs ” et au dévouement bienveillant et attentif des “zéducs” du foyer des Fontaines: Geneviève, Rosy, Crâne d’œuf, etc., et du gendarme Raymond dont le cœur est un réservoir d’amour.
Gilles Paris fait “l’autobiographie” de ce jeune orphelin de neuf ans placé dans un foyer. Il raconte à la première personne les malheurs et les bonheurs des enfants face aux adultes, à leurs mensonges, à leurs trahisons, à leur méchanceté ou leur faiblesses. Le petit héros forge sa propre philosophie – ou religion – à commencer par Dieu qui reste au chaud avec le soleil et qui “se protège des gens qui ont toujours un truc à Lui demander” (p 89).
Avec malice et générosité, Courgette décrit la fête foraine, l’anniversaire, les vacances à la montagne et à la mer, la disparition d’Ahmed, le cirque, la jalousie parfois, les brouilles et bagarres, l’amitié et l’amour juvénile.
Son langage est enfantin, naïf et drôle plein de fautes d’orthographe, de grammaire, de syntaxe, émaillé de gros mots, et ses mots d’enfants rappellent ceux du poète Prévert – qui est cité (p 76). (voir plus bas deux poèmes). Un langage fait de liste d’actions avec des “et” , sans ponctuation, des enchainements sans coordination donc sans analyse et sans contrôle. L’enfant prend les expressions au pied de la lettre et en fait ressortir l’humour de la situation (p 222) : “Antoinette est assise à la place du mort”, elle demande de fermer la fenêtre pour ne “pas attraper la mort” et dit “J’ai pas envie de prendre cette place aujourd’hui” (p 223).
De son œil perspicace, lucide mais sans jugement, il relève les travers des uns et des autres, et l’immense désir des enfants d’avoir des parents aimants. A côté de beaucoup d’histoires bouleversantes par leur injustice, ce récit est émouvant par sa simplicité.
Citations:
p 164 “Des fois, les grandes personnes faudrait les secouer pour faire tomber l’enfant qui dort à l’intérieur”.
p224 “C’est pas parce qu’on demande rien qu’on sait tout”.
p224 : ” Et les grandes personnes (…)/ C’est plein de points d’interrogation sans réponses parce que tout ça reste enfermé dans la tête sans jamais sortir par la bouche. après, ça se lit sur les visages toutes ces questions jamais posées et c’est que du malheur ou de la tristesse”.
Être ange c’est étrange, Jacques PRÉVERT, Recueil : “Fatras”
Être Ange
C’est Étrange
Dit l’Ange
Être Âne
C’est étrâne
Dit l’Âne
Cela ne veut rien dire
Dit l’Ange en haussant les ailes
Pourtant
Si étrange veut dire quelque chose
étrâne est plus étrange qu’étrange
dit l’Âne
Étrange est !
Dit l’Ange en tapant du pied
Étranger vous-même
Dit l’Âne
Et il s’envole.
Le cancre
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le cœur
il dit oui à ce qu’il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur