
Sarah-Bernhardt, Ma double vie ( Belle-Île-en-mer)
Editions des femmes, 1980, 2 tomes : 312 p + 313 p
Je m’attendais à découvrir ce que le grand public ne savait pas d’elle mais cette double vie est restée cachée.C’est à la page 186 du tome 2 qu’elle nous le confirmera : “Mais je veux mettre de côté dans ces mémoires tout ce qui touche à l’intimité directe de ma vie. Il y a un “moi” familial qui vit une autre vie(…)”. Il ne faut donc pas chercher ici à découvrir l’autre côté de la vie de Sarah Bernhardt. Nous ne saurons même pas, par exemple, dans quelles circonstances elle a eu un enfant qui apparaît soudain sous le nom de “enfant” et “garçon” puis une fois cité sous le prénom de Maurice.
Les mémoires de la comédienne s’attachent à sa vie de comédienne. Elle y raconte par le menu, avec force détails parfois anodins son enfance de petit diable (p 34 ), de bohémienne (p 35) voire de “folle” (p40) – le terme n’étant certes pas de l’ordre de la pathologie.
De faible constitution et d’une beauté maladive, elle s’évanouit beaucoup et reste alitée souvent. Elle entre au théâtre par hasard et par besoin.
Il y a des portraits intéressants de grands hommes tels que Napoléon III, Gambetta (p 10), Victor Hugo ( p 20 à 24), Théophile Gauthier (p 32), mais aussi de Perrin et de son amie fidèle qu’elle appelait “mon petit’ dame”, à savoir Mme Guérard.
Elle passe en revue ses débuts à l’Académie française, l’Odéon, retour à l’Académie, etc.
Elle se sent “l’élue du public” (p 27) puis un “être à part” (p 142). Elle rencontre Flaubert, le baron Alphonse de Rothschild (p 268).
Le premier tome va jusqu’à la guerre de 1870. Sarah est républicaine – bien qu’elle aimât Napoléon III (p 11) -, et elle s’investit comme infirmière. Coléreuse depuis petite, elle se dépeint en colère, en racontant les horreurs, l’infamie et son incompréhension devant un progrès qui ne fait que tuer (p 260). Devant l’ingratitude.
Page 160, T1 : huit pages de photos sont intercalées, montrant la comédienne jeune, en habit de théâtre, plus âgée.
Les anecdotes, les détails, les menus et grands faits sont décrits minutieusement et on est en droit de se demander si sa mémoire est fiable. Elle avoue alors qu’elle “prend des notes” (p 303) – un trait de caractère significatif pour quelqu’un qui ne laisserait pas sa renommée au hasard.
Dans le contrôle ou dans l’action, elle détaille ou bien résume les multiples “incidents (…) incroyables” qui lui sont arrivés pendant cette période (fin de la première partie, p 305).
Puis viennent les tournées: l’Allemagne, les Pays-bas, l’Amérique, le Canada, etc. Son grand cœur s’émeut pour les émigrants, les iroquois, les “victimes de la civilisation” (p 244). Elle rencontre Thomas Edison ( p221-224).
Page 160, T2 : quatre pages de photos sont intercalées montrant la comédienne jeune, en habit de théâtre, vieille.
Les “incidents”, les récits et les réflexions se multiplient : l’évêque de Montréal, le glaçon sur le fleuve Saint Laurent, sur le puritanisme américain, l’attaque du train, contre la peine de mort, le portrait de la Nouvelle Orléans à cette époque et la condition des pauvres et des noirs, les chutes du Niagara, etc.
Elle conclut : “J’avais (…) mûri mon cerveau, assagi la rudesse de mes vouloirs. / Ma vie, que je croyais d’abord devoir être si courte me paraissait maintenant devoir être très, très longue (…)/ Je résolus de vivre./ Je résolus d’être la grande artiste que je souhaitais être./ Et (…), je me vouai à ma vie.”(p 308).
Sarah Bernhardt est décédée en 1923, elle avait 79 ans. Sa renommée est internationale.
Le fort Sarah Bernhardt à Belle-Île-en-Mer.
Il faut traverser la Bretagne, le Morbihan et prendre un bateau pour se rendre au fort Sarah Bernhardt. C’est un fortin militaire du XIXᵉ siècle où Sarah passe ses vacances d’été durant 30 ans, entre 1894 et 1922.
Entièrement restauré et meublé, il est transformé en musée et ouvert au public. J’ai visité le lieu en 2009. Les visiteurs déambulent dans les pièces sombres (peu éclairées car petites ouvertures) où le décor rappelle l’époque de la comédienne.
Le site est isolé, la mer omniprésente et la solitude quasi assurée au temps de sa célèbre propriétaire.
En lisant les mémoires de Sarah Bernhardt quelque temps après, j’ai trouvé l’âme de cette femme exceptionnelle dans ce lieu unique et grandiose. Elle avoue qu’elle avait “le besoin d’un autre air, d’un plus grand espace, d’un autre ciel” (p 186, T2). Il semblerait qu’elle l’ait trouvé dans ce bout du monde.
Bien qu’elle déclare aussi qu’elle “déteste, depuis [s]on enfance, (…) les châteaux, (…) les tours, enfin tous les édifices dépassant la hauteur d’un moulin” (p 184,T2), elle n’est pas à une contradiction près. Il se pourrait donc qu’elle ait changé d’avis sur ce point. De toute manière, le lieu était adéquat pour y cacher sa vie privée – qui n’est pas ressortie de ses mémoires comme elle en avait décidé (p 186, T2).
Ce lieu lui ressemble tellement.