
Hélène Bonafous-Murat, La caravane du pape
2019, Le Passage éditions, 340 p
Livre reçu dans le cadre de La Communauté Culturelle Leclerc que je remercie.
Il y a des couvertures de livre qui n’attirent pas, qui ne disent pas ce qui vous attend comme elles devraient le faire à la base, qui sont absconses. La couverture de La caravane du pape, aux éditions LEPASSAGE n’en fait pas partie.
En effet, la première de couverture du livre représente un Paysage de montagne et voyageurs attribué à Jan (ou Hans) Tilens (1589-1630, peintre flamand principalement connu pour ses paysages avec personnages), et la quatrième de couverture nous informe que la romancière est expert en estampes ( en dehors de son activité d’écriture). L’histoire de La caravane du pape est inspirée de faits réels et se déroule entre 1623 et 1669. Elle raconte comment la bibliothèque palatine fut transportée jusqu’à la bibliothèque vaticane. Quoi de plus approprié que cette huile sur toile pour illustrer ce que fut le voyage de 60 carrioles, de 150 hommes environ et d’une centaine de manants, vu à travers les yeux d’un expert en estampes !
Au fil des pages, le lecteur suit donc le convoi des caisses remplies des manuscrits et des ouvrages que Leone Allaci soustrait aux protestants du nord, après que la ligue catholique s’est emparée de la ville de Heidelberg en 1622. Il voit la caravane s’étirer, les petits personnages marcher péniblement, les chariots cahoter sur les sentiers sinueux, les mules chargées lourdement peiner, et les cavaliers diriger la marche et rassembler les troupes. Aucun détail ne manque au tableau comme au récit.
L’équipée consiste à faire parvenir en sécurité ce tribut de guerre, en traversant les villes hostiles, en bravant les intempéries, les hérétiques, les traîtres, les voleurs en déjouant les accidents de parcours, les inondations et les incendies, le manque d’argent, les contretemps, les maladies, les complications et finalement la mort de Grégoire XV, le commanditaire du projet.
Leone Allacci, qui débuta sa carrière comme vicaire général de l’évêque et la termina en tant que conservateur de la bibliothèque vaticane accepte la mission, motivé par une soif de connaissances et mû par la foi catholique. Les caisses contiennent “toute la science du monde jamais produite pour la gloire de Dieu”(p 78), c’est à dire : des codex enluminés, des traités de médecine, des récits de Virgile, Pline l’ancien et Pline le jeune, Tite-Live, Ovide, etc., si précieux pour les lettrés et si futiles pour les pauvres et les ignorants.
Le périple entrepris est revécu par le vieillard moribond qui se transporte dans ses souvenirs et nous fait revivre son histoire. L’alternance du présent et du passé donne un ton mélancolique à ces sortes de mémoires qui prennent un tour autant historique que personnel. Plus qu’une aventure rocambolesque ou une épopée fantastique, La caravane du pape poursuit le long et périlleux cheminement de la pensée d’un gardien du savoir et prend figure d’un défi d’esthète. Sur un ton simple, ni pompeux ni professoral, la romancière nous fait partager un moment de notre Histoire – et d’une histoire particulière -, où les convictions s’entrechoquent.
Les problématiques se dénouent lorsque le suspense lentement distillé par la présence incongrue d’une jeune fille belle et douée montre à l’érudit ses irrémédiables lacunes sur la vie des hommes – et des femmes.
En effet, c’est à la page 111 que la première apparition d’une jeune nymphe trouble le savant obsédé par ses livres. Elle reparaît furtivement de dix pages en dix pages avant que l’homme ne commence un voyage parallèle. Il enseignera à cette femme à lire, écrire, traduire et lui offrira de ce fait, un privilège inespéré (rappelons qu’à cette époque les femmes n’ont pas d’âme et ne sont pas considérées autrement qu’un animal ou qu’une plante). À ce propos, Hélène Bonafous-Murat dépeint parfaitement le marasme des femmes, méprisables aux yeux d’un homme du XVIIe siècle, et qui plus est, d’un homme d’église.
Si les péripéties du voyage ne sont pas à l’image de nos films d’action contemporains pleins d’héroïsme éclatant, le suspense créé par les fantasmes d’un homme ému sans conteste par la beauté d’une jeune fille mais aussi par son intelligence, engendre une attente à savoir comment cette aventure-là va prendre fin : dans les flammes de la turpitude? ou bien dans le renoncement ? dans la mort de l’un ou de l’autre? L’imagination s’emballe lentement pour cette passion plus qu’humaine.
Mais le voyage tant physique et matériel que psychologique et moral reste celui d’un homme intelligent et raisonnable. Les révélations du dénouement lui feront prendre conscience d’une certaine vacuité de l’esprit qui ne repose pas sur la réalité.
L’exergue vient ici prendre tout son sens : “Le monde est un livre et ceux qui ne voyage pas n’en lisent qu’une seule page” Saint Augustin.
Leone Allacci a voyagé et a lu tant de pages qu’il arrive bon gré mal gré à faire la part des choses.
NB : Rencontre avec Hélène Bonafous-Murat autour de son ouvrage “la caravane du pape” voir ici.
Autres articles sur Hélène Bonafous-Murat :
– Avancez masqués (lire ici)
– Le jeune homme au bras fantôme (lire ici)