
Sylvain Prudhomme, Par les routes.
Gallimard, 296 p.
Livre reçu dans le cadre du Jury du Prix Landernau 2019.
J’ai été attirée par ce livre de Sylvain Prudhomme parce que le titre me rappelait Kerouac et son célèbre On the road. Cinq mots sur la quatrième de couverture « la multiplicité des existences possibles » m’ont incitée à l’ouvrir…
J’ai commencé à lire et j’ai été prise par « la mélancolie des paquebots » comme l’auteur écrit, un ralentissement du temps, une gorgée de solitude, un supplément au voyage… Mais de quel voyage s’agit-il, en fait ?
Le début in media res implique un « avant » (à découvrir : qu’est-il arrivé entre l’auto-stoppeur et Sacha, pourquoi cela s’est-il terminé ?) et un « après » (ce qui va suivre : que va-t-il se produire?). On entre donc dans le vif du sujet et les problématiques apparaissent au fur et à mesure : l’auto-stoppeur qui vit sa vie, alors que l’écrivain écrit ; la force de l’amour est-elle d’accepter l’absence, jusqu’à quel point ? ; celui qui a changé (la maturité de l’âge adulte) prend la place de celui qui ne change pas (l’éternelle jeunesse ?) : est-ce de l’audace ou de la « folie » que de rester fidèle à ce que l’on est, de ne pas « évoluer » ? Les zones d’ombre demeurent comme la tristesse et les blessures évoquées par la musique : Mood Indigo de Nina Simone et Famous Blue Raincoat (Songs of Love and Hate) de Leonard Cohen (l’auto-stoppeur porte lui aussi un fameux manteau bleu !).
Le thème principal se développe : il nous amène sur « les chemins de traverse » (pour ceux qui ont lu Harry Potter), sur des chemins qui ne vont pas en ligne droite, qui atterrissent parfois « à côté », anti conventionnels, atypiques, où l’on rencontre toutes sortes de gens, ceux qui restent et de ceux qui partent…et leurs d’histoires.
Les rencontres remplissent les vides comme les voyages remplissent les trous sur la carte, l’auto-stoppeur se croit magicien. Mais n’est-ce pas un lâcher-prise, une illusion ? L’anonymat permet des confidences qui ne seront ni répétées, ni jugées, ni mémorisées, c’est une liberté que donnent les inconnus rencontrés au hasard et qui finissent par en savoir plus que nos proches. Cependant, le revers n’est-il pas de rester cet inconnu qui sera oublié, qui ne partagera rien d’autre que ce huis clos de l’habitacle? Est-ce du courage d’y faire son bilan? Ou bien un simple exutoire ?
L’auto-stoppeur ne veut pas regarder le temps « fondre » (p 108), il veut être le fleuve. Il n’y a pas de repentir sur l’autoroute, elle fonce tout droit, sans marche arrière ! et lorsqu’il rentre, il est ensuite l’homme fêté, désiré… Quoi qu’il en soit, il reste autocentré, inconsistant. S’il est une sonde lancée vers le monde, il reste un être velléitaire qui amorce des choix, qui engage des embryons de vie multiples sans en concrétiser aucune ; la sienne se défait entre ses doigts (ou bien ne revient-il pas sachant qu’il laisse Marie et son fils entre de bonnes mains, autres que les siennes, qui peuvent donc se libérer de ces entraves ?). C’est un personnage ambivalent, on l’adore ou on le déteste: un paumé ou un rêveur. Mais Sacha aussi est ambigu : est-ce un coucou qui niche dans le nid de l’autre, un “échangiste” ou un anti-conventionnel, un peu paumé aussi: il a 40 ans, en panne d’écriture et se retranche dans la solitude…; un “sauveur” pour une femme qui attend, croit décider de sa liberté, de son amour, mais se lasse d’un parti-pris de plus en plus lourd : un bien étrange trio (mari femme amant) revisité.
Le style est simple, des phrases courtes, des « je » (puis omission du pronom personnel répétitif : effet de style télégraphique encore plus bref, ramassé) ; des verbes actifs pour un récit rapide et volontaire. Pourtant une lenteur est indéniable, due au manque d’explications, d’éléments de coordination qui donnent un effet de neutralité objective, alors qu’il s’agit bien d’un parcourt intérieur. Les dialogues ne sont pas précédés de tirets, il n’y a pas de point d’interrogation, on se demande parfois qui parle ? Quelques mots vulgaires (cul, con, foutre, pisser un coup, putain, engueuler, baiser…) claquent dans une écriture pourtant sobre et châtiée. Du post-modernisme ou une pseudomodernité dans l’écriture ?
Une pléiade de noms de villages (p 174…240), évocateurs, drôles ou tendres, bizarres ou de circonstance peut paraître longue, mais démontre le désir de l’auto-stoppeur de faire coïncider son humeur, son expression au travers de celle des villageois qui ont finalement donné le nom à leur village comme s’ils se confondaient avec lui et lui avec eux, avec leur village, avec le point qu’il forme sur la carte : un caméléon. Il ira jusqu’au dernier village, dernier nom : « Camarade » qui réunit tous ceux qui sont capables d’ouvrir leur porte à l’inconnu, à l’autre, à la rencontre. Le village nommé « Camarade » est une commune française (27,68 km² de superficie) située dans le département de l’Ariège, en région Occitanie. Ses habitants (178) sont appelés les Camareaux (dommage, on y était presque !). Enfin, l’auto-stoppeur y réunit ses « camarades » aux Camareaux, tout en restant fidèle (absent) à lui-même.
Une question demeure: Sacha écrit des lettres jaunes sur une toile blanche, de l’écriture? de la peinture ? Je me suis demandé quel était intérêt pour le livre?
P.- S. Hobo = SDF, aux États-Unis
Prix Femina 2019, Prix Landerneau 2019.