Kaouther Adimi, Les petits de Décembre
le Seuil, 248 p
Livre reçu dans le cadre du Jury du Prix Landernau 2019
Première page, première approche : l’écrivaine plante le décor : pluie, boue, eau… Les chapitres se suivent et la répétition de la scène donne plusieurs points de vue. Au final, le kaléidoscope renvoie l’événement dans le prisme des facettes.
La discorde entre les participants montre la relativité des choses lorsqu’elle est vue par chaque point de vue. Chacune des partie a ses raisons, bonnes ou mauvaises selon ses antécédents, ses expériences, ses contraintes. Le fait divers commence à dévoiler les différents visages de l’Algérie actuelle.
Au fur et à mesure que l’événement s’amplifie, la critique du gouvernement, des militaires, de l’administration se met en place. Sans lyrisme et sans violence verbale, l’autrice montre la corruption, l’injustice, les privilèges d’un côté et de l’autre, la peur, la lâcheté et la soumission d’une génération fatiguée par la guerre d’indépendance, puis par la lutte contre le terrorisme qui s’est fait voler la démocratie. Une génération flouée, bafouée, un blanc dans l’histoire, un maillon peut-être nécessaire, mais dont l’attente d’un jour meilleur a un goût d’échec. Les trois générations en présence : les pères, les fils et les petits-enfants s’affrontent. Les uns sont amers de n’avoir rien pu faire, les autres sont rancuniers envers ces parents qui leur ont sapé leurs forces, et les petits, sans idéaux encore, se révoltent juste devant une spoliation qu’ils ne comprennent pas.
La figure de la grand-mère les soutient, résistant toujours à une autorité illégitime. La folle aux cheveux rouges les soutient aussi, parce qu’elle n’a pas perdu toute sa raison.
Le changement ne sera pas initié par les mots (pas entendus) ni les partis d’opposition (muselés) ni les actions en règle (que l’on fait s’éterniser jusqu’à l’abandon). La chape pèse lourdement sur toute velléité, à part celle de ces enfants que l’on n’ose pas toucher, du moins directement (le feu accidentel ne l’est pas forcément ?). Ils sont l’avenir (les garçons apprennent à jouer au foot aux filles (!)) et, si balbutiant soit-il, cet espoir reste la dernière option d’un pays dont les généraux confient leur destin aux cartes d’une voyante. La résistance ultime des enfants devant les bulldozers est sans aucun doute symbolique de l’Algérie d’aujourd’hui.
La fin est laissée ouverte, bien que peu de place soit faite à un optimisme exagéré. Sous une apparence de fable enfantine, de conte un peu dérisoire, construit dans un style simple, mais subtil, ce récit prend l’ampleur d’une légende urbaine tragique et réaliste puisqu’elle s’inspire des faits qui se sont réellement déroulés dans la cité du 11 décembre 1960, à Dély-Ibrahim près d’Alger.
Citation(s):
– “Mais des enfants ? Qu’est-ce qu’on leur dit ? comment on les fait déguerpir ?”