
Raphael Confiant, Eau de Café**
Le Livre de Poche 2000, 380 p.
« Clochemerle » annonce François Nourrissier du Figaro Magazine 4e de couverture de l’édition du Livre de Poche année 2000. Définition : Nom propre. Village ou petite communauté déchirée par des querelles burlesques sans intérêt ou conséquences pour le reste du monde ; Société, groupe de gens qui se disputent sans cesse pour des raisons diverses ; une situation pleine d’intrigue. Raphaël Confiant nous présente en effet un monde grouillant de personnages, d’anecdotes et de comportements impulsifs. Dans un monde où l’on ne trouve pas de sens, la « maudicité » s’impose et la vie se gère au jour le jour. Le journaliste mentionne également Saint-John Perse : on retrouve l’évocation de la faune et flore locales ainsi que ce que j’ai appelé « la langueur océane » (cf. article sur S-J P) qui s’exprime ici dans une très grande propension à jouer aux dés.
Comme compensation ou exutoire, pour oublier la misère, les cyclones, les Blancs-pays ou les ravages de l’alcool, la réponse à un besoin de jouissance immédiate passe par des appétits sexuels de tous ordres dans une tolérance quasi générale. Les descriptions licencieuses pullulent, les propos salaces font partie du quotidien et les allusions à la chair dans tous ses états prolifèrent. Si c’est un hymne à la femme antillaise et à son érotisme, la lubricité des hommes (noirs et blancs) dans une bonne humeur et une bouffonnerie quasi générale – car rien n’est sérieux – s’accompagne de l’acceptation des intéressées d’une manière fataliste et tout aussi quasi générale.
Le récit tourne autour d’Antilia, la « filleule » d’Eau de Café. Le prénom tout d’abord renvoie à celui du pays : le nom « Antilles » dériverait d’« Antillia » : une île fantôme prétendument située à l’ouest du Portugal dans l’océan Atlantique. Antilia serait donc la parabole d’Antillia (à un « l » près) et particulièrement de la mer. Maudite et mystérieuse, la fillette « viendrait » de la mer, l’aime et s’y noie. Toutes deux déchaînent bien évidemment passions, pulsions et répulsions à cause de leur opacité, de leur liberté insaisissable, de leur dangerosité et de leur manque de générosité (la mer ne donne pas de poissons)…
La technique de l’écrivain pour son premier roman écrit en français mêle le créole (auto-traduit entre parenthèses) et le français (châtié, avec par exemple « au grand dam » et une citation de Montaigne). Il fait affleurer le créole par quelques mots non traduit (un morne), dans les images (locales : papayer, etc.) et grâce à des périphrases (au lieu d’un mot : les « règles/menstruations » par exemple, il répète : le sang qui coule entre les jambes). Il joue sur les mots et les expressions (p 377 : « tonnerre de Brest » devient « tonnerre de braise ») et crée des néologismes (« raconterie », « s’escamper », « belleté », « rigoladerie », etc.) ou de pures inventions (coquer : un verbe qui dérive du mot « coq » et qui illustre ce qu’il fait « sur le dos de la poule » (p 130)).
C’est ce que de nombreux critiques appellent la langue « chatoyante » des auteurs antillais.
Et l’écrivain martiniquais s’en amuse. Il se moque de ces « étrangers blancs qui, par hasard, s’égarent ici échafaudent toutes espèces de théories compliquées et farfelues sur ce qu’ils nomment notre “sens inné du rythme” » (p 83) qui parlent « la bouche pointue en croupion de poule » (p 342) en donnant un « mal de tête » (p 128). Car il dénonce, bravache : « Les Blancs n’avaient pas voulu recevoir nos enfants à l’école et ne condescendirent à nous apprendre qu’un nombre fort limité de mots de leur langue. […] Faute de connaître « sottise », « bêtise », « ânerie », « connerie » et consorts, il [le nègre créole] entreprit de jouer sur la gamme des suffixes pour rendre les nuances existant entre ces différents termes, ce qui bailla, au grand dam des Blancs créoles, « couillonnaderie, « couillontise », « couillonnerie », et « couillonnade ». Et dans un autre domaine, « mensonge », « mensongerie », « menterie », et « mentaison ». Et ainsi de suite. Et merde pour toi qui veux garder jalousement les richesses du dictionnaire pour toi tout seul. Ha ! ha ! ha !… » (p 94-5)
Quant à moi, je conclue sur cette « morale » qui vaut d’ailleurs pour d’autres personnes et situations.
Lire plus de détails sur anne.vacquant.free.fr/av/ et notamment avec l’article : « Commentaire sur : La littérature antillaise francophone », rubrique: « Écriture » si on est intéressé par le sujet de la langue et de la créolité.