
André Schwarz-Bart, La mulâtresse Solitude****
Seuil 1972, numérique 129 p.
Elle n’est ni noire ni blanche et ses yeux sont d’une nuance différente.On l’appelle aussi « Deux-âmes » ou la « jaune » car elle rejetée par les deux couleurs. Elle finira par devenir : Solitude.

Son parcours retrace l’histoire de la Guadeloupe entre la colonisation et les plantations, l’abolition de l’esclavage décrétée par la Convention et son rétablissement par Napoléon Bonaparte. Mulâtresse donc (suite à un viol, dans une pariade, sur le bateau négrier qui a transplanté sa mère), le personnage incarne le destin de l’île, entre faits historiques et légende. Le roman d’André Schwarz-Bart fait vivre l’allégorie (la solitude) dans la réalité (inspirée de faits réels) de la tragédie d’une femme dévastée par l’incompréhension et la rage, devenant un « mythe identitaire contemporain ».
Si La mulâtresse Solitude décrit le choc et les retentissements de la colonisation (sans occulter la traite intra-africaine (p 106, Maïmouni a été l’objet d’un troc) et la « race tombée » (p 98) sous emprise : les nègres soldats), la forme de ce roman aux images poétiques et oniriques déroute quelque peu. Car le rêve est présent. C’est « le mystère de la pensée blanche » (p 99) dans lequel on se perd, où l’on devient « comme des ombres, des marionnettes à l’intérieur du « rêve des hommes blancs ». Mais le rêve des marrons est là aussi : « Lorsque fut détruit le campement de la Goyave […] on découvrit […] un petit volume relié de veau […] c’étaient Les rêveries du promeneur solitaire » (p 82) qui lisent Rousseau et espèrent dans le siècle des Lumières !
À la cruauté, le style répond par un réalisme magique qui semble dédramatiser le destin en le mettant à distance : l’histoire débute avec le voyage (initiatique Cf. Ti Jean l’horizon ?) et les noces de Bayangumay dont la fille Rosalie évoluera sans vraiment comprendre au début, puis se retranchera dans le silence, une existence de soumission apathique de zombie avant que le traumatisme prenne fin avec la rencontre de Maïmouni dans la forêt avec qui elle partagera un moment heureux et deviendra enceinte. Ayant pris conscience que la lutte était nécessaire, elle rejoint le « campement des marrons de la Goyave, bastion ultime des nègres d’eau salée de Guadeloupe » « attirés par la lumière de Delgrès, chef de l’insurrection » (p 115) et leur dernier combat à Matouba, habitation Danglemont, près de la Soufrière.
La langue imagée, la présence des morts, du destin, du rêve (toujours !) sont des éléments très marqués dans le récit. Ils témoignent d’une forte tradition antillaise (et l’influence de Simone ?) qui semble avoir opéré sur André. Selon certaines sources : « La Mulâtresse Solitude est à l’origine le titre de ce qui devait être un cycle romanesque qu’André devait écrire avec son épouse Simone Schwarz-Bart, dont Un plat de porc aux bananes vertes devait être le premier titre. Ce cycle s’achèvera en fait avec le roman homonyme, écrit par André Schwarz-Bart seul… » (Je m’en vais donc lire ce premier titre).
À l’occasion d’un voyage en Guadeloupe où j’ai cherché les noms, les lieux et l’histoire à travers l’atmosphère du livre, je me suis rendue à la maison d’André et Simone Schwarz-Bart implantée précisément à Goyave. Malheureusement des travaux importants en interdisaient l’accès ( je vous convie néanmoins à voir les photos dans la rubrique « Balades et maisons » puis « Maisons, jardins littéraires »).
Citation :
– p 107 : « Et Solitude […] se disait en souriant qu’elle n’était pas grand-chose, vraiment, sur la terre des hommes, ne sachant pas même à l’intérieur de quel rêve elle se trouvait. »
