
George Sand, La forêt de Fontainebleau*****
Illustratrice : Louise Collet, préface : Patrick Scheyder ; 40 pages ; Reliefs Editions (25/10/2024)
Nous sommes le 13 novembre 1872. Le présent ouvrage reprend stricto sensu le texte initial (12 pages) écrit le 6 novembre, à Nohant et publié dans le journal Le Temps. George Sand soutient la pétition des artistes face à M. le président de la République.
C’est un texte complet – au sens où tous les arguments s’y trouvent -, largement commenté depuis sa parution que je décortique ci-après:
– Une critique manifeste (p 14) sans consister en un acte de « rébellion » citoyenne ou un appel à la désobéissance civile : elle appelle au bon sens et à la raison.
– L’art et le sentiment de grandeur (p 20, 23) : les peintres réclament des espaces protégés pour exercer leur art.
– Une forêt romantique et une « propriété intellectuelle » (p 18) : « Tout le monde a droit à la beauté et à la poésie de nos forêts, de celle-là particulièrement, qui est une des belles choses du monde (p 17). “Interroger le sphinx” (p 29) : le droit à la rêverie, à la perception et à l’expression qui ne sont pas des pertes de temps (p 28).
– Une connaissance des sciences naturelles et de la botanique : « équilibre physique », « principes de vie » (p 15, 16).
– La foresterie : George Sand considère les deux problématiques 1/ la gestion des cultures des terres agricoles et 2/ le capital à préserver dans une vision d’avenir et de conciliation (p 33-34).
– Une économie de moyens et une limite à la possession individuelle (p 18) : « (…) si ces besoins [de l’homme] ne s’imposent pas, dans un temps donné, une certaine limite, il n’y aura plus de proportion entre la demande de l’homme et la production de la planète » (p 35).
– Une géo-ingénierie ou refus de la modification artificielle du climat par l’humain : « Arrivera-t-on à prétendre que l’atmosphère doit être partagée, vendue accaparée par ceux qui auront les moyens de l’acheter ? (…) voyez-vous d’ici chaque propriétaire balayant son coin de ciel, entassant les nuages chez son voisin, ou, selon son goût, les parquant chez lui (…) ? » (p 18).
– Un lien intergénérationnel, un terrain d’initiation pour le « prolétaire universel » (p 22) et un héritage : « [Les arbres] beaux et majestueux jusque dans leur décrépitude, appartiennent à nos descendants comme ils ont appartenu à nos ancêtres » (p 20), dénonçant le blasphème, la démission et l’égoïsme de l’expression courante : « Après nous la fin du monde ! » (p 36).
– Une demande d’assimilation aux Monuments nationaux et historiques (p 13) : première pierre à l’édifice du Patrimoine mondial de l’Unesco, soit un ensemble de biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel commun pour l’humanité, traité international adopté cent ans presque jour pour jour (16 novembre 1972).
Dépassant la perception esthétique, George Sand prouve avoir une vraie conscience écologique en soutenant une cause qui semblait dérisoire à l’époque. Visionnaire, elle fait partie des précurseurs qui ont alerté l’opinion publique et les autorités.
La forêt de Fontainebleau est devenue la première réserve naturelle au monde.
Les illustrations suivent une dominante parfois verte, jaune, rouge ou bleue. Finement peintes (aquarelle?, crayon?), elles représentent la diversité de la forêt de Fontainebleau telle que je la connais : sable, rochers, chênes et fougères, gorges et marais. Il est dommage que les inscriptions sur la première (et la quatrième) de couverture soient peu visibles bien que je pense que ce soit une volonté de laisser la plus grande place à la nature.
Enfin, je dois dire un mot concernant la préface de Patrick Scheyder en répondant au point d’interrogation ponctuant le terme d’éco-féministe (p 9). George Sand (Aurore Dupin) est une femme, certes (si elle utilise un pseudo masculin et le terme générique « l’homme », elle sacrifie à la langue en usage, mais n’accorde pas l’adjectif (persuadé, p 25) se rapportant à elle au féminin) ; c’est une écologiste avant l’heure, c’est vrai, elle aimait la nature ; c’est une féministe dans le sens où elle a vécu sa vie en femme libre, c’est encore vrai bien qu’elle ait été plus que réservée sur certains points ; mais de là à dire que c’est une « éco-féministe », le terme paraît anachronique (comme « influenceuse » (p 7) mis entre guillemets) et ressemble un tant soit peu à une stratégie de trading. En effet, si les deux mots s’assemblent, le courant écoféministe met en parallèle le système de domination et d’oppression des femmes avec celui de la nature, par les hommes. Ce n’est pas le propos ici de George Sand qui a lié sa vie personnelle et d’artiste engagée par intuition.
Ce texte a une portée plus générale.
NB. Ce titre a été intégré à ma liste “Œuvres de non fiction d’ordre végétal” à consulter Ici.