
William Wilkie Collins, Pierre de Lune****
1799, Comtesse Marguerite de Vaudreuil de Clermont-Tonnerre (Traducteur), éd PAPERVIEW Collection noire, 518 pages, 1995.
La narration à plusieurs mains alterne les témoignages de tous les acteurs de l’intrigue. La résolution du mystère suit un rythme lent au début qui s’allonge avec les digressions de chacun selon son caractère et sa situation, mais qui s’enchaînent, sans trop de répétitions, en s’accélérant à la fin.
La technique adoptée, inventive et inspirée brise la monotonie, offre plusieurs facettes à peine caricaturées de la société victorienne (xénophobie et supériorité de race (méconnaissance/indifférence envers la foi et la loyauté des trois brahmanes dont le diamant a été volé) ; différences de classes sociales (fidélité des uns aux usages et rigidité des autres en fonction de leurs privilèges) ; misogynie ambiante (consensuelle à l’époque), bigotisme, jalousie et médisance de la noblesse désargentée envers les nantis…
L’humour sibyllin ou subtil émaille les considérations de ce panel éclectique et pour ce triller très XIXe, sans violence physique, une langue châtiée tout en finesse.
Pierre de lune a été consacré premier roman policier, encore dans le top 10 des meilleurs, avec de nombreux suspects, rebondissements, fausses pistes et un sergent brillant, sarcastique et décalé, dans l’avant-garde d’un genre qui sera florissant depuis lors.
Citations :
– p 34 : « C’est toujours un soulagement pour les moins doués d’entre nous que de surprendre les plus intelligents en flagrant délit de stupidité. »
– p 76 : «(…) ils en avaient terminé du sort des filles perdues – celles qu’il fallait interner et celles qui pouvaient être sauvées – et avaient abordé des sujets infiniment plus sérieux. »
– p 77 : « enfin, quand le député de notre comté, s’échauffant au moment du fromage et de la salade à propos des progrès de la démocratie en Angleterre, s’écria : « Si nous perdons nos anciens privilèges Mr Blake, que nous restera-t-il, je vous le demande ? »
– p 297 : « Ce calme inébranlable est certes une qualité chez un homme. Chez une femme, il comporte le sérieux désavantage de séparer moralement celle qui en est dotée des autres femmes, et donc de l’exposer à l’incompréhension de la société. Je me soupçonne fort d’avoir à ce sujet les mêmes préjugés que le reste du monde. »
– p 51 : « Ce n’est que plus tard que je compris – avec l’aide de Miss Rachel qui fut la première à le découvrir – combien ces surprenants transformations et les sautes d’humeur de Mr. Franklin étaient dues à son éducation étrangère. À l’âge où la plupart d’entre nous prennent leur « coloration » définitive, sous l’influence des « colorations » d’autrui, il avait été envoyé à l’étranger et était passé d’un pays à l’autre avant même que l’influence de chacun d’entre eux eût pu se faire sentir d’une manière prédominante. […] Il avait des côtés français, Allemand et italien, avec un fond anglais qui reprenait parfois le dessus. »