
Sylvie Germain, L’enfant méduse.
1993, Gallimard, 280 p.
Si ses yeux pétrifient les êtres humains qui croisent son regard, Méduse ou Médusa aussi appelée Gorgone dans la mythologie grecque est la seule des trois sœurs à être mortelle. Lucie (dont le prénom signifie lumière en latin, cf. p 79) est fragile comme l’enfance, l’innocence et la joie, massacrées par son grand demi-frère Ferdinand que la fillette pétrifiera par la puissance de ses yeux noirs remplis de colère en retour (cf. p 232). Il succombera par le mauvais œil, vengeur de la monstruosité de l’ogre.
L’enfant méduse raconte une « Légende » moderne (typographie romaine en caractères droits) alternant avec des saynètes ou tableaux, sorte de poèmes en prose (« enluminures », « sanguines », « sépias », « fusains » et « fresque », en italiques) et des épigraphes (citations et extraits de la bible).
La poésie s’exhale des descriptions de la nature et des paysages de la Brenne (Le Blanc est située en Centre-Val de Loire, Indre). L’eau des étangs et des marécages en appelle à la magie des fées et des sorcières, à l’onirisme de l’ombre et de la lumière, aux fantômes asphyxiant les vivants.
La violence des émotions est soutenue par l’injustice portée au paroxysme par une écriture travaillée, soignée, recherchée jusqu’à dégager des reflets précieux (blanchoyer, etc.). La phraséologie parfois un peu lente, permet de décortiquer l’âme.
Cette fable tragique et toujours très actuelle transfigure l’horreur, l’effroi devant le sordide et l’épouvantable sans tomber dans le vulgaire ni le gore. Si la résilience est au bout du chemin, le parcours n’est pas complaisant pour autant.
Citations :
– p 196 : « Ferdinand appartenait à cette race d’êtres qui est légion de par le monde ; la race des hommes qui somnolent, qui vivent à tâtons, à fleur de conscience, et dont la vue est courte. Le mal se glisse alors en eux à leur insu et va se lover dans leurs cœurs sans vigilance, sans force ni courage. »
– p 232 : « La douleur ne sait pas réfléchir, elle envahit de ronces la pensée, elle pétrifie en désolante statue de sel chaque souvenir qui ose un instant refaire surface à la conscience. La douleur est idiote, de façon implacable. C’est un tyran qui bafoue la raison, qui humilie l’intelligence, aussi grande puisse-t-elle être. »
– p 242 : « Et qu’est-ce que c’est au juste que cette âme, cette chose impalpable, invisible et sans preuve dont il faut, prétend-on, prendre si grande et vigilante précaution chaque instant de sa vie pour ne pas la damner ? »