
Frédéric Pie, Libre, écrire sur les chemins du monde
2021, Nautilus éditions, 482 p.
Livre reçu dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio dont je remercie les organisateurs et les organisatrices ainsi que les éditions Nautilus.
Libre, Écrire sur les chemins du monde n’est pas un guide touristique, c’est un récit : il n’y a ni détails techniques ou recommandations ni informations publicitaires ou promotion.Il n’y a pas de photos non plus et je dois dire que je l’ai regretté tout d’abord. Il y a peu de descriptions précises, de commentaires sur des spectacles ou sites visités, d’anecdotes de terrain (à part les passages en douane et les difficultés concernant la moto) et sur le mode vie des gens rencontrés (nourriture, habitat…), mais quelques personnes émergent : Beatrix, Rita, Willy… Pour suivre « visuellement » son vécu, il faut aller sur le site https://fredericpie.fr/ ou sur la page Facebook de cet être venu « d’ailleurs », cet « expatrié » volontaire, sans « racines » et « continuellement en partance » (p 118). Je l’ai fait après lecture : l’auteur y est aussi prolixe que dans son livre et les photos abondent. Ce sont de belles photographies où l’humain côtoie le végétal, le minéral et l’animal, le ciel, la mer et la terre…
Les exclamations, les émotions et les sentiments exacerbés, Frédéric Pie les réserve pour son paysage intérieur. C’est un récit à la première personne. Le constat qu’il nous propose est simple : le bonheur n’est pas matériel mais mental et réside dans le fait de s’accepter soi-même et d’aller vers les autres, d’accorder son être à sa vie à l’instar de la citation de Camus qui nous rappelle : « Mais qu’est-ce que le bonheur, si ce n’est l’harmonie entre un homme et la vie qu’il mène » (p 119). On s’y accorde bien volontiers en suivant le monologue intérieur de Frédéric Pie. En revanche, je dois dire que j’envie sa capacité financière qui, il faut bien le reconnaître, lui permet de réaliser son rêve ! Quoi qu’il en soit et pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, le voyage intérieur complète le road trip et le minimalisme assumé s’ouvre sur le monde.
Peu de descriptions donc et pas de dialogues, mais le rythme du récit alterne entre des citations (Neruda, Camus, Cioran, Garcia Marquez, Bodin, etc.), des extraits (chansons de Brassens, poème de L Sédar Senghor…), des lettres (à son fils, à ses amis), des récits imbriqués (Beatrix, Peggy)… L’écriture révèle une fraîcheur de « jeune écrivain » qui se cherche dans son style. Car dans le fond, la lucidité est au rendez-vous. Même si l’auteur découvre un état de fait qui n’est pas toujours nouveau (les circonstances socio-politico-historiques que complémentent les considérations psychologiques, esthétiques et philosophiques), la sincérité et la spontanéité de ses réflexions nous font dépasser ce que l’on sait pour découvrir ce que l’on ne sait pas, ou pas encore, ce que l’on pressent ou ce que lui seul a pu expérimenter (N.B. J’ai particulièrement apprécié le passage sur les portes [p 322 à 328]).
Avec beaucoup d’humour (pirouettes, jeux de mots, double sens, métaphores filées et comparaisons), l’auteur exprime un lyrisme poétique exubérant. La force de son engagement personnel, son enthousiasme et sa confiance en soi (maturité acquise et foi indestructible en ses décisions) se traduisent parfois par une insistance que reflètent quelques répétitions. En effet, Frédéric Pie affectionne particulièrement les adjectifs : « époustouflant » et « « improbable » ; l’expression : « les chemins de traverse » et « les rires cristallins » ; « jouer à domicile » (à valeur footballistique) ; etc. Toutefois, la dose d’énergie positive qu’il dégage en prosélyte zélé entraîne le lecteur et la lectrice à des remises en question vers une recherche d’authenticité, d’équilibre et de respect.
Après ce livre, j’avais envie de souhaiter à l’« écrivain-voyageur en herbe » (p 282) de consolider ses premiers pas et de revenir sur la scène littéraire avec un état des lieux et/ou une suite. Au vu de la sortie de son deuxième livre, il s’avère que l’aventure n’est pas restée au stade de l’acte unique, mais remplit réellement le choix d’une vie. Les faits sont explicites : il est reparti et il a continué d’écrire ! Une prochaine lecture pour un auteur à suivre ?
NB. Je salue la participation des éditions Nautilus au regroupement international d’entreprises consacrant au moins 1% de leur chiffre d’affaires à aider des associations de défense de l’environnement : 1% for the Planet-France.
Citations :
– p 35 : « J’ai pu confirmer que j’étais en bonne compagnie avec moi-même. C’est plutôt une bonne nouvelle avant d’entamer un tour du monde, seul, durant quelques années. »
– p 44 : »On peut avoir l’âme gitane, encore faut-il être capable de s’abstraire de tout ce bric-à-brac nostalgique et si peu essentiel qui encombre nos vies sédentaires… »
– p 70 : « Comment vingt-six petites lettres et leurs milliers de combinaisons de mots peuvent-elles suffire à couvrir le champ infini de l’inexprimable. »
– p 154 : « Des anges et des muses invisibles dansaient dans la lumière et me dictaient des phrases par dizaines que je rechignai à noter. L’écriture attendrait, me dis-je, tout en sachant qu’elle bouderait probablement, capricieuse et vexée, quand je lui proposerai plus tard de me remémorer ces phrases qu’elle me dictait. »
– p 206 : « Un tour du monde n’est-il pas en définitive une chasse au trésor ? »
– p 237 : « Voyager, c’est se dévêtir de tous ses préjugés et renoncer chaque jour davantage à l’idéalisation de l’exotisme. »
– p 240 : « Le bon goût, l’esthétisme, la propreté ne sont pas affaire d’argent. »
– p 240 : « On met toute une vie à devenir soi-même. »
– p 286 : « Les forêts précèdent les hommes, les déserts leurs succèdent. » (attribué à Chateaubriand)
– p 325 : « La porte est souvent ce passage entre l’être et le paraître. »
– p 342 : « Je suis un funambule ondulant, en équilibre précaire, entre l’éternel besoin d’action et le silence vivifiant de la contemplation immobile. »
– p 386 : « Elle ne voulait pas une simple histoire, elle voulait la géographie tout entière ! »
– p 448 : « C’est sans doute cela que l’on appelle l’art de vivre, cette oscillation profonde et fructueuse entre soi-même et l’autre, entre la mise à distance du monde et le rapprochement subtil avec tout ce qui diffère et me nourrit. »