
Alain Blottière, Rêveurs
2012 Gallimard nrf, 162 p.
Je ne m’attendais pas à ce genre de « rêveurs », mais il s’agit bien de deux rêves à trois mille kilomètres de distance qui se ressemblent tout en étant très différents et qui se rejoignent l’espace d’un instant.
L’astuce de l’auteur est de les relier techniquement par un simple saut de paragraphe et symboliquement dans un même souffle. On se demande au début de qui on parle puis on comprend et on se laisse emporter à tel point que vers la fin on se perd : est-ce Goma ou Nathan ? Les particularités de chacun viennent dissiper le doute ensuite mais le lien est créé.
Par ce lien et par ce souffle, l’écriture entremêle pour mieux contraster la différence qui existe entre les deux jeunes : l’un tente de se soustraire à une réalité confortable mais ennuyeuse avec des pratiques dangereuses quand l’autre essaye de survivre à la dure réalité avec courage et espoir : antagonistes dans la méthode mais proches dans la recherche d’un eldorado. La misère face au luxe décrit et décrie deux mondes où la révolution a été trahie.
Le contexte historique du « Printemps arabe » renforce le propos en faveur de la vie, d’un côté de la Méditerranée, alors que le jeu du foulard rend dérisoire et malsaine la course contre la mort, de l’autre côté. Paraboles de notre époque (?), le premier ne veut que le droit d’exister quand l’autre réclame la jouissance d’exister.
Citations :
– p 106 : « Nathan, quant à lui, n’avait d’appétit ni pour la vie ni pour la mort. Il n’aimait intensément que l’univers décalé des songes, où les sens se déréglaient en une apothéose. »
– p 144 : « souvent égaré dans le monde réel car les bons chemins demeuraient la plupart du temps introuvables qui menaient vers la jouissance d’exister. »