
Jean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h 27
Folio, 2015, 193 pages.
Le bandeau disait : « Ce livre enchantera votre journée » (Bernard Lehut, RTL), alors je l’ai pris. Avec un éloge pareil, j’ai décidé de le lire.
Au début, j’ai cru que l’on m’avait trompée. J’ai eu l’impression de continuer Les abysses du temps de Maxime Chattam. Il y a une machine nommée “la Chose” qui broie les livres et les jambes (et les rats), une usine déshumanisée assimilée à un estomac et à des intestins et un estropié traumatisé frôlant le délire obsessionnel…
Puis des éléments plus agréables, amenés par le biais de la littérature (livres recyclés ou sauvés, lecture publique et déclamation théâtrale, écriture d’un journal intime…) apparaissent avec des personnages singuliers mais sympathiques.
Il n’en reste pas moins que les descriptions fournies par la dame-pipi restent scatologiques, que celles à propos des personnes âgées sont souvent dégradantes et que le vocabulaire parfois grossier déprécie la tonalité optimiste et bienveillante du récit que certains ont pu assimiler à un « conte de fées moderne ». L’humour décalé ne justifie peut-être pas tout?
Quoi qu’il en soit, le sauvetage de quelques pages « élues », la solidarité pour reconstituer une bibliothèque « des jambes retrouvées », la pantoufle (clé USB) de Cendrillon à la recherche de l’amour et la convivialité chaleureuse envers son prochain font de ce roman une lecture empreinte d’une réelle humanité.
Citations:
– p 23 : « Le nom gravé à même l’acier du mastodonte dégageait des relents de mort imminente : Zestor 500, du verbe zertören qui signifiait détruire dans la belle langue de Goethe. »
– p 158 : « les auditeurs de Guylain détonnaient d’avec le reste des usagers. Leur visage n’affichait pas ce masque d’impassibilité qu’arboraient les autres voyageurs. Tous présentaient un petit air satisfait de nourrisson repu. »
Échanges :
jcjc352 : “On est dans la France d’en bas et ce n’est pas un “feel good book” c’est donc un peu factuel et sans exhausteur de goût.”
Anne Vacquant : “Je ne m’attendais pas à un feel good, en dépit du fait que certains considèrent ce livre comme un conte de fées moderne et que les commentaires/bandeau présupposaient une tonalité de bien-être. Ce n’est pas le fait que ces aspects du quotidien soient triviaux qui dérange quelque peu – quand bien même la « France d’en bas » n’est pas obligatoirement trash et le conte de fées nécessairement bénin -, mais les descriptions auraient pu être plus légères sur les côtés les moins ragoutants et les plus incontrôlables de la vie (fonctions intestinales, vieillesse, handicap…). La satire s’en serait bien sortie, sans sensiblerie mal placée et sans forcer le trait.”
jcjc352 Ah oui vu comme ça. Mais bon c’est un style réaliste et ça fait partie de la vie cela change un peu des livres trop cérébraux (la majorité) qui omettent cet aspect peu plaisant. Je suis en train de lire “Le paradis des fous ” hyperréaliste de Ford qui lui aussi est assez trash sur la maladie de Charcot vous devriez essayer pour comparer. Je ne connaissais pas la présentation faite de ce livre mais c’est vrai c’est moyen ça se laisse lire. J’en disais “Un moment bien cordial et gentillou mais bon…”
Anne Vacquant: C’est vrai qu’il fait figure de trublion et je crois que c’était délibérément provocateur. Mais mettre les pieds dans le plat pour une satire sociale gentillette ne m’a pas paru si pertinent que ça, justement.
Merci pour votre suggestion : « Le paradis des fous » de Ford. Je vais aller voir votre critique sur ce livre.