
Miguel Bonnefoy, Le rêve du jaguar
2024 Rivages295 p. En lice pour le Prix Landerneau des Lecteurs 2024.
Présentation par l’auteur, suivie d’une interview captivante
Voici un roman dont le style, les personnages, les enchaînements, les situations démontrent une tentation à la luxuriance, au baroque, une propension au foisonnement que l’auteur revendique tout en prônant une réduction de format, une précision de la phrase et une concision du propos.
Contradiction ?
Il cite Pascal qui aurait dit à un ami : “excuse-moi, si j’avais eu plus de temps ma lettre aurait été plus courte”. Comment dire l’essentiel ? En une page comme en cent? Cent ans pour Gabriel Garcia Marquez qu’il admire et un travail d’artisan, d’orfèvre auquel il aspire?
Les paraboles et allégories de Garcia Marquez et du réalisme magique reformulent la réalité familiale dont il s’inspire, selon ses propres aveux. Dans le creuset de la réécriture, avec le pouvoir du forgeron alchimique et une gourmandise évidente, la fiction devient plus vraie que nature, une légende qui dépasse la réalité. L’écrivain construit une tour, l’ombre de la tour dépasse la tour et l’écrivain dans un destin borgésien à l’image de celui que dirige la ténacité de sa famille. C’est la somme de milliers de hasards qui font une vie. Une vie qui se boucle comme le livre de Miguel Bonnefoy par la même phrase. Dans l’interview référencée plus haut, l’auteur se réclame du style oulipien : une histoire dans une histoire, à chaque page, une saveur par phrase, pas de creux ni de béquille. Il veut passer par l’image pour faire un roman et non pas un essai historique.
On peut partir dans le rêve du jaguar et dans le livre qui porte ce titre ou rester sur le rivage, éperdu. On peut reconnaître l’ascendance et les influences à l’œuvre dans le roman et se dire : un de plus! Mais on peut aussi se laisser emporter par la magie des mots et des images écrits par un auteur sincère, sympathique et prolifique.
Citations:
– p 176 : « Ces pierres avaient pris cet aspect sacré qu’ont les lieux oubliés, témoins lointains du passage des peuples et de leur mémoire invisible. »
– p 211 : « Je pourrais essayer de raconter mon voyage, mais ce serait comme décrire l’océan en disant que c’est simplement de l’eau avec du sel. »
– p 214 : « Cette réponse glaça Venezuela. Elle ne comprit pas comment on pouvait apprendre à parler aux enfants pour ensuite ne pas écouter ce qu’ils avaient à dire. »
– p 218 : « On est esclave de ce qu’on dit et maître de ce qu’on tait. »
– p 256 : « Les romans sont une île entourée de terre. »
– p 286 : « Les paysans avaient reproduit exactement ce qu’ils voulaient combattre. »
– p 288 : « Il n’imaginait pas que la corruption n’était pas l’apanage des régimes impérialistes, mais qu’elle était partout. Les révolutions s’y abreuvaient aussi. Elles échouaient parce qu’on oubliait de faire, pour les stimuler, ce qu’on avait fait pour les susciter. »
– p 289 : « Dans toute portée de chats, il y a un jaguar. »