
Delphine Minoui, Badjens
2024 Seuil, 160 p.
Tout d’abord, interviews et présentation :
+ La grande librairie 19 sept 2024 + RTS culture
Chiraz, automne 2022. Au cœur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public.
Voilà pour le titre et le synopsis.
Sous forme de monologue intérieur, Badjens transforme ses interrogations en révolte. Les phrases courtes, les fréquents alinéas, des images chocs servent une simplicité qui peut sembler naïve. Mais il s’agit précisément d’une adolescente.
Tout est contradiction. La jeune Iranienne le clame : « Si notre génération n’a aucun pouvoir, elle a au moins l’esprit de contradiction » (p 89). Des préceptes religieux au quotidien, de l’isolement prescrit par la société aux réseaux sociaux, des ordres paternels aux encouragements maternels, des demandes affectives (et sexuelles) du petit copain à la « bonne » morale, chaque femme et jeune fille (à partir de 9 ans) se voit prise dans une toile arachnéenne tissée par les hommes autour de leur corps.
À cette contradiction, certains hommes répondent par de la lâcheté quand ils ne sont pas convaincus, les femmes en y contrevenant de manière cachée et en mentant par omission sinon sciemment. Ce qui est donc commun, c’est la (dis)simulation, la feinte, la fausseté, la tromperie, la duplicité, les faux-semblants… Le décalage et le paradoxe sont partout. Ils engendrent la schizophrénie, le dédoublement de la personnalité. La vie que mènent ces femmes les pervertit de l’intérieur, aliène leur personnalité, leur identité, l’être même de la femme.
Badjens offre de nombreuses autres pages non paginées (fin de chapitre), même au recto (p 85, 143, 151). Elles m’apparaissent comme des sortes de réflexions mises en exergue. Et c’est pourquoi les deux dernières pages non paginées semblent offrir comme une autre fin, une fin à part qu’il faut comprendre comme faisant partie de l’histoire, et de cette histoire, et en même temps comme une généralisation. Ce serait d’ailleurs la copie d’un vrai graffiti dessiné sur un mur à Téhéran : « Vous pensiez me tuer. Vous nous avez ressuscitées. »
Une évolution pourrait se dessiner selon les trois sortes de femmes : la grand-mère, gardienne convaincue des traditions ; la mère qui accepte sans être d’accord et la fille qui refuse et se révolte contre le voile, symbole de la soumission. Quoi qu’il en soit, ce roman d’apprentissage est un témoignage. En dépit d’un avenir plus qu’incertain, il se veut plein d’espoir.
Citations:
– p 16 : “L’Islam, religion d’état, interdit l’avortement.
sauf qu’en Iran tout se négocie, même la religion”.
– p 100 : ” Sois ce que tu parais. Sinon, parais ce que tu es.”
– p 112 : “En persan, ce n’est pas anodin, il n’y a ni masculin ni féminin./ Comme si les lettres mâles avaient endormi les femelles avec un coton d’éther. / Au final, tout est neutre./ […] Un genre unisexe. Ou plutôt asexué. Le masculin neutralise le féminin, l’annule et le tue.”
NB: un « maghna-é » est une sorte de cagoule en tissu plutôt sombre (19 %).