
Jack Kerouac, Les Clochards célestes
folio 2009, 374 p, titre original : The Dharms Bums.
J’ai lu Sur la route, le road-trip devenu mythique de Jack Kerouac il y a longtemps et j’avais gardé l’image d’une « Beat generation » affranchie, les « beatniks » s’opposant au conformisme, au consumérisme et à la politique de l’Amérique des années 50.
Les clochards célestes restent dans cette ligne. Ray Smith (le Dupont américain, c’est-à-dire monsieur Tout-le-monde) et ses amis vagabondent de fêtes orgiaques en rencontres improbables. Tester la vie, le monde et soi-même, toutes les façons d’accéder à une spiritualité issue principalement du bouddhisme, justifient les « trips » de ces adeptes des lois naturelles du dharma. C’est d’ailleurs ce qui explique le titre : Les clochards célestes est une jolie traduction pour The Dharms Bums, soit : “les clochards dharmiques” ! Et la dédicace : “à Han Shan”, poète chinois, ermite de la “Montagne froide”.
Sur la route consistait en une errance initiatique que l’on retrouve encore dans Les clochards célestes. Non seulement parce que l’initiation loin de s’être arrêtée a mûri, mais elle est demeurée un état d’esprit sans incarner véritablement une option à long terme : le protagoniste regrette parfois de ne pas avoir de foyer et il rentre régulièrement voir sa mère qu’il aime sincèrement.
Le style est simple, presque oral et fourmille de détails parfois insignifiants qui, dans sa logique, ne le sont pas. Sans lyrisme littéraire, on assiste pourtant à des états extatiques – comme ceux dont John Muir a décrit le processus, personnage emblématique des grands espaces pour le moins auquel Kerouac fait souvent référence –, lorsqu’au cours de ses ascensions alpinistes Ray atteint le point culminant de la Terre…et de la sensation de liberté. Et c’est en cela (aussi) que Les clochards célestes diffère de Sur la route. Car comme le dit l’axiome Zen cité page 130 : « Quand tu parviendras au sommet de la montagne, continue à monter ».
Parmi nos contemporains, on peut tracer l’influence de Jack Kerouac chez Sylvain Tesson, l’écrivain voyageur et Sylvain ( !) Prudhomme, auteur de Par les routes (2019). Entre autres.
Citations :
– p 121 : « Je vais errer désormais à travers les terres de l’Ouest et les montagne de l’Est, et le désert du Sud, sac au dos, à la recherche de la pureté. »
– p 162 : « Et je me disais que peut-être ces clochards célestes m’apporteraient la lumière. »
– p 186 : « Après tout, un homme sans foyer a bien le droit de pleurer : le monde entier semble dressé contre lui. »
– p 222 : « Les choses ne sont que des combinaisons vides de quelque chose qui semble plein et solide. Rien n’est ni grand ni petit, ni proche ni lointain, ni vrai ni faux. Il n’y a que des apparences pures et simples, des fantômes. »
– p 373 : « Merci à jamais pour m’avoir conduit en ce lieu où j’ai tout appris. »