
Marguerite Yourcenar, Les yeux ouverts
Le Centurion, 1980, 334 p. Entretiens avec Matthieu Galey.
Dans ces entretiens, Marguerite Yourcenar retrace sous quelques thèmes (et chapitres) une vie de lectures et de voyages, accompagnée intimement par ses personnages.
L’écrivaine s’adresse aux hommes dans son acception générique, puisqu’elle pense qu’« un homme qui écrit ou qui calcule n’appartient plus à son sexe. Il échappe même à l’humain » (p 291). Il conviendrait de comprendre que « l’impersonnalité totale » est seule à promouvoir une vue d’ensemble sur le monde des hommes incluant les femmes.
Et elle en serait un exemple, selon Matthieu Galey.
On peut être d’accord ou non sur ce point et ne pas manquer d’apprécier l’ampleur de ses réflexions partant du plus humble, mais s’élevant toujours à des considérations qui englobe l’humanité.
D’aucuns pourraient être très sensible au penchant mystique (une ferveur, une quête d’absolu) plutôt que religieux stricto sensu de la jeune aristocrate (grande bourgeoise) élevée dans la solitude d’une enfant unique choyée par un père complice, dans une nature qui lui est restée proche, dans la simplicité des gens de la campagne qu’elle a aimé retrouver tout au long de sa vie et jusque sur l’île des Monts-déserts.
Grâce à sa (presque toujours) indépendance financière, elle a pu consolider une indépendance d’esprit et une clairvoyance non moins profonde. Sans en tirer autrement gloire, elle est restée affectée par l’actualité, et solidaire des causes à défendre.
Ces propos sont ceux d’une femme d’une grande intégrité qui s’appuie sur le passé et la patience des choses apprises pour analyser un présent violent et pourtant sans ardeur (p 127).
Citations:
– p 112 : « Je suis contre tout ce qui est artificiel. Je trouve que l’esprit doit agir d’après soi-même, d’après ses propres lois, sans béquilles et en tout cas sans échasses. »
– p 154 : « Il faut être capable de tout dire, mais ne pas le dire parce que ce n’est pas important. »
– p 170 : « J’entrevoyais encore la possibilité d’une espèce de réorganisation du monde, et c’est une espérance que la plupart d’entre nous ont perdue, même si, par discipline, et par courage, on agit comme si on n’y croyait encore. »
– p 254 : « Et quant au mot classicisme, j’avoue n’y rien comprendre. Si par classicisme on veut exprimer qu’un auteur n’écrit pas dans un style salopé, ou plein d’acrobaties inutiles, disons-le. »
– p 256 : « Pessimisme et optimisme, encore deux mots que je récuse. Il s’agit d’avoir les yeux ouverts. »
– p 325 : « Il faut dans le voyage, comme dans tout, des aptitudes contradictoires : de la fougue, une attention soutenue, une certaine légèreté, […] le goût de se plaire au spectacle extérieur des choses, et l’intention bien arrêtée d’aller au-delà ce spectacle pour parvenir à voir les réalités souvent cachées. Tout voyageur est Ulysse ; il se doit d’être aussi Protée. »