
Irina Teodorescu, La forêt, désormais, de l’intérieur
2023 LA GRANGE BATELIÈRE, 280 p.
Livre reçu dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio dont je remercie les organisateurs et les organisatrices ainsi que les éditions de LA GRANGE BATELIÈRE.
Sur la quatrième de couverture, ce texte est appelé « journal de vie ». Pas « journal intime ». Quelle est la différence ?
Je dirais qu’il n’est pas daté au jour le jour tout en étant chronologique ; qu’il est décomposé en chapitre et en parties, ce qui suppose une interprétation des évènements. Les trois parties intitulées : INLUST, INLAS et INLOVE représentent “les trois grâces” (p 148). Pour ces raisons, je parlerais volontiers de moments de vie dont une empreinte de fiction réside dans le choix de ce qui est rapporté ou non, ainsi que dans la façon dont c’est rapporté.
Quoi qu’il en soit, ce récit raconte la « fuite » d’une femme de 42 ans dans la forêt biélorusse. Ce n’est pas un retour au pays natal (elle est née en Roumanie), mais au pays de ses origines (la Pologne, que son père a fui dans l’autre sens). C’est également un retour à l’amour (nouvel homme, nouveau bébé) et à la “grâce” (p 136) de la dernière forêt primaire d’Europe.
Tout d’abord, Irina Teodorescu nous invite à des promenades, sylvestres, oniriques et fantasmatiques, entremêlées d’hallucinations provoquées par diverses drogues (alcool, beuh, ecsta, etc.). Les associations d’idées, de mots, de pensées, les « élucubrations » « sans élagage » illustrent la bizarrerie de l’« agitatrice de la langue », comme elle se présente et nous plonge dans le vécu intime de la « performatrice-poétesse », métier qu’on lui attribue.
Puis, dans la cabane jaune (qui ressemble un peu à la maison bleue de San Francisco!) les réflexions politico-écolo-humanitaires d'”intello-extrasensibles” réunis par le hasard ou par conviction s’entrecroisent au fil des rencontres.
Enfin, la contradiction entre la réalité des émigrants qui appelle à la solidarité et la violence des douaniers barrant une frontière artificielle et absurde où chacun repousse l’autre écartèle la magie du lieu.
Sept photos, en noir et blanc, montrent la forêt dans son état naturel, ni spectaculaire ni quelconque.
Désormais, la forêt sera intérieure. Le titre évoqué en dernière page annonce moins une fin qu’un projet. Ambitieux ? En tout cas, pour ce livre, une « performance artistique ».
Citations :
– p 206 : » Mais est-ce que la langue est une institution aussi figée qu’une promesse ? Ou bien, la langue est-elle un instinct ? »
– p 148 « […] une forêt a ses intentions, son amour, ses sentiments, sa logique même, mais […] ça prend un temps fou de la comprendre, ça demande de se tordre l’esprit, et finalement, lorsqu’on commence à saisir un bout de sens, on voit enfin que comprendre est un concept purement humain d’une grande vanité. »