
B. Michael Radburn, L’arbre aux fées.
Seuil, 2019, lu en numérique 249 p, titre original : The Crossing.
Ce thriller australien a tout pour créer le mystère, le frisson, le suspense et sa référence explicite (p 149) à Sleepy Hallow n’est pas fortuite (voir note 1).
Il contient les ingrédients du fantastique (“burtonnien”) avec : le cimetière, la tempête de neige, la nuit, l’eau qui monte et engloutit les tombes et le village, la cloche, immergée et lugubre qui sonne au gré du vent, la mine désaffectée, vestige de la ruée vers l’or qui n’a pas épargné la Tasmanie…
Le suspense se construit autour du ranger Taylor, somnambule et inconscient de ses actes pendant les nuits de ses insomnies, le vétéran revenu traumatisé du Vietnam, le photographe d’enfants lunché par les villageois, les tigres prédateurs carnassiers et un tueur en série pédophile qui pourrait sévir dans les environs de l’agglomération depuis quelques années…
Bien entendu, la réponse est tout autre, avec un surplus de perversité et de macabre.
Ce qui relève la noirceur de l’intrigue est le fantôme (bienveillant) de Claire, la petite fille disparue du ranger ( qui verra dans la résolution de l’enquête une rédemption à son traumatisme) et l’illusion des fées qui peuplent le poivrier. Cet arbre a attiré Drew, la dernière des petites filles disparues, par la magie qu’il dégage (pp. 19, 23, 151). Il est au centre de son histoire puisqu’il sera un intermédiaire (pour le bon et le mauvais), mais guidera Taylor en fin de compte vers la solution.
L’écriture est fluide, actuelle. Elle entraine facilement la lecture vers le dénouement.
Nous apprenons incidemment que la légende du tigre de Tasmanie n’est pas une légende (p 90) – à ne pas confondre avec celle du « diable de Tasmanie », comme le prévient le bandeau rouge sur la couverture. La préservation de l’un comme l’autre est par ailleurs réelle (voir note 2).
Note 1 : La Légende du cavalier sans tête (en français) est une nouvelle de Washington Irving issue du recueil Le Livre d’esquisses (1820). Tim Burton en a fait un film fantastique (1999).
Note 2 : “Le diable de Tasmanie (Sarcophilus harrisii) est une espèce de marsupiaux carnivores ne vivant qu’en Tasmanie, au sud de l’Australie. Disparu du « continent » australien environ 400 ans avant l’arrivée des premiers colons européens en 1788, il a longtemps été considéré comme une menace pour le bétail et a été chassé impitoyablement jusqu’à ce qu’il devienne une espèce protégée à partir de 1941.” (WKPD)
Nota bene : Ce livre a été ajouté à ma liste « titres d’ordre végétal » (à lire dans la rubrique « Jeux, liste et etc. ») ainsi qu’à mon « écrit en cours » (dans la rubrique « Projets »).
Citations:
– p 19 : « Ce poivrier le fascinait depuis le premier jour. Couverte de nœuds, son écorce grise formait des tourbillons peu naturels, comme dessinés par un artiste, et son tronc pointait vers l’est tel un doigt accusateur. »
– p 23 : « Il paraît que dans la bonne lumière tout l’arbre prend vie. Qu’on peut même voir leur forme dans les courbes de l’écorce. »
– p 151 : « Son éclat [de la lune] sculptait des ombres profondes dans l’écorce tourmentée, traçant à la surface du vieil arbre des lignes pareilles à des coups de pinceaux gris. Des formes se précisèrent, et à un moment la lune dessina un visage d’enfant qui soutint le regard des deux hommes, un visage imparfait et néanmoins souriant. […] d’autres silhouettes apparurent. Il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour y voir des fées. […] Une image unique et multiple à la fois ; un phénomène modelé au fil du temps par les dieux en personne. »
– p 90 : « Cet animal [le tigre de Tasmanie] était un fantôme, un mythe. »
Écorce de poivrier de Tasmanie :