
Bénédicte des Mazery, L’intrus
288 pages, PLON (06/04/2023)
Livre reçu dans le cadre de l’opération Masse Critique privilégiée de Babelio dont je remercie les organisateurs et les organisatrices ainsi que les éditions mentionnées.
Tout commence par le désir ou non de la maternité.
La nature a attribué le rôle de porter l’enfant aux femmes, mais elle ne leur a pas forcément donné l’envie de procréer. Lorsque l’enfant est là, désiré ou non, la famille canonique assume que la mère, non seulement acceptera l’enfant, mais l’aimera et s’en occupera. Voilà le débat ouvert par L’intrus, qui reprend la parole libérée des femmes concernant leur corps.
Sans vouloir trop dévoiler le dénouement, je dirai que la remise en cause de l’instinct maternel, du don de soi, du dévouement, etc., est bien exposée, mais que la fin aurait pu être moins consensuelle, quitte à rester dans le registre dérangeant ou provocateur – un traumatisme antérieur n’est pas toujours la seule explication –, et que la fin a le mérite de présenter le danger d’un perfectionnisme pathologique et de faux-semblants douteux.
De multiples dualités opposent le mari et la femme, la future mère et le futur père, la mère/belle-mère au couple, les bébés garçons (le vrai, le poupon : Thibaud, Tom (mêmes initiales), et le disparu : Augustin (même prénom en n°3) dans une progression complexe de non-dits et d’incompréhension. Bénédicte des Mazery a su entremêler dans une atmosphère de plus en plus étouffante les pulsions/fantasmes de chacun, les stéréotypes traditionnels le plus souvent inconscients et les attentes sociétales normatives de la transmission.
Le sujet de L’intrus est osé et donc délicat à décrire dans un livre grand public. Il est pour cela courageux et suscitera sans nul doute des controverses. le roman maîtrise pourtant le passé et le présent, le réel et l’imaginaire, le tendre et le dur. La tension créée donne aux ambivalences une dimension inquiétante mais captivante.
Citations:
– p 33 : « Ce qui te dérange, c’est qu’on puisse te reprendre quelque chose. En fait, tu as peur, Élise. Tu as peur de perdre ce que tu as. Voilà pourquoi tu défends si fort la non-possession. »
– p 83 : « Dans son esprit d’enfant, le baigneur était forcément un garçon, on disait toujours « le », jamais « la » bébé. Comme si le bébé était d’office masculin. »
– p 119 : « Après tout, puisque Thibaud [le reborn baby] se réchauffe, pourquoi les corps silencieux n’auraient-ils pas une âme ? »
– p 129 : « Cette fête [baby shower] inquiétante en l’honneur d’une maternité sous contrôle, désespérément heureuse. »
– p 153 : « Une petite tromperie de rien du tout, mais qui finissait toujours par ouvrir une réalité plus cruelle encore. »
– p 179 : « Toutes ces qualités qui font endosser à des femmes comme elle un costume trop grand, trop large, dans lequel elles se perdent du jour au lendemain, soudain démunies devant l’ampleur de leur nouveau rôle, se sentant indignes, presque, de le tenir. »
– p 201 : « Un enfant, ce n’est pas une science exacte, elle ne connaît même rien de plus imprévisible. »