
Daniel Pennac, Chagrin d’école
2007, Gallimard, 320 p, lu en numérique, 214 p. Prix Renaudot 2007
Chagrin d’école est un plaidoyer en faveur de la lecture, de la (re)valorisation de l’étude, de l’école, du respect de soi et des autres.
Le récit est truffé d’anecdotes et d’exemples issus de l’expérience de l’auteur, expérience vécue des deux côtés de la ligne de démarcation entre l’élève et l’enseignant, d’autant plus révélatrice que cet élève fut un cancre (problèmes de dyslexie et de dysorthographie) et que le professeur se montra doué. Ce dernier comprend que l’essentiel est d’ “apprendre à apprendre” et que “c’est ce que l’on n’apprend pas aux professeurs”.
Il convient tout d’abord de maîtriser la peur, celle du côté des élèves qui “n’y arrivent pas” et celle du côté des professeurs qui ne savent pas pourquoi ils n’y arrivent pas. Ce “y” (comme le “en” ou le “ça” ensuite) fait l’objet d’une brillante analyse qui démonte les mécanismes de la confusion, du rejet et du renoncement contre lesquels le professeur doit combattre (p 84).
Daniel Pennac milite pour la dédramatisation, que ce soit ici ou dans ses œuvres de fiction (dont la saga Malaussène par exemple).
Car le souci du “devenir” qui inquiète tant les mères (p 34), qui déstabilise les enfants et que conditionne la société est omniprésent. La peur du chômage, la peur de la délinquance (entre autres peurs donc), le diktat du darwinisme social (p 15) verrouillent toute joie dans l’apprentissage.
Les dialogues au ton enlevé et pertinent, y compris ceux que l’auteur entretient avec lui-même dans une sorte de débat intérieur avec sa « conscience », entre un génie empathique et un génie critique, rendent accessible et amusant, tout en sachant rester profond, un sujet qui aurait pu être doctrinal voire rébarbatif.
On peut rapprocher ce récit biographique et didactique de l’essai Comme un Roman, en plus personnel.
Écrit dans un style simple mais percutant, l’exposé se clôt sur un espoir infini dans une fin de non-recevoir vis-à-vis d’un handicap qui ne devrait plus exister : une fois les tenants expliqués, les aboutissants découleraient naturellement. Sans pour autant s’aveugler sur les injustices et les échecs résistants à cette proposition, l’auteur exprime une foi inaltérable en l’humanité et en sa capacité à se dépasser. Il en prend pour preuve son propre cas afin de mieux valider ses convictions et nous en convaincre.
Citations :
– p 48 : « Sans doute connaissait-il la blague de Clemenceau sur son chef de cabinet, en 1917, « quand je pète, c’est lui qui pue ». »
– p 55 : « Or, dans la société où nous vivons, un adolescent installé dans la conviction de sa nullité – voilà au moins une chose que l’expérience vécue nous aura apprise – est une proie. »
– p 65 : « Puis vint mon premier sauveur. / Un professeur de français. / En troisième. / Qui me repéra pour ce que j’étais : un affabulateur sincère et joyeusement suicidaire. »
– p 146 : « Plus encore que les autres, les mots d’argot sont sensibles au ton, ils n’ont pas leur pareil pour passer de l’insulte à la caresse. »
– p 66 : « Il m’y fallait un monde à moi, ce fut celui des livres. »
– p 207 : « Les profs ne sont pas préparés à la collision entre le savoir et l’ignorance, voilà tout. »