
Emmanuelle Faguer, Les Désobéissantes
Sortie le 18/01/2023, HARPER COLLINS , 400 pages.
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Masse Critique » privilégiée de Babelio dont je remercie les organisateurs et les organisatrices ainsi que les éditions mentionnées.
Le premier livre d’Emmanuelle Faguer à sortir prochainement cultive moins les rebondissements sanglants d’une enquête policière mouvementée que le mystère qui enferme les protagonistes gravitant autour des deux défunts dans leurs secrets.
Le style sobre, fluide et soigné coïncide avec le milieu raffiné (mais pas forcément plus vertueux) de la grande musique qui sert de toile de fond à l’histoire. L’écriture alterne le passé et le présent des personnages. Une structure assez classique mais clairement identifiable permet de se repérer au cours des quatre parties distinctes. Et si les deux “Diane” peuvent perturber la clarté de la lecture à un moment donné (et faire se tromper de personne, cf. p 254), le prénom de l’amie que donne Esther à sa fille atteste de l’attachement amical renforçant la décision déterminante qui sera prise ensuite.
Les personnages féminins se regroupent autour d’un homme discret et fragile dont l’homosexualité refoulée est l’un des thèmes principaux, avec celui de la violence conjugale hétérosexuelle, de l’amitié inconditionnelle et de la trahison (d’où le titre, sans doute). Elles font l’objet de l’une des parties qui leur est consacrée (Diane, Gabrielle, Rose, Élisabeth). À côté de celles-ci, il convient de ne pas oublier les autres femmes (la lieutenante, la commissaire, les deux amies (Virginie et Esther), la psychiatre) qui permettent de dénouer les implications du tout premier décès. Quant au pianiste solitaire, s’il reste le héros de l’histoire par sa mort inopinée, il n’en est pas relégué à l’arrière-plan pour autant. Au contraire. Chaque femme qui l’a aimé, accompagné et trahit va le faire revivre intensément. Pour avoir voulu le protéger, elles se sont trouvées prises dans un engrenage destructif auquel Marcus répond finalement en se retirant de la partie, laissant derrière lui les éléments pour dénouer le nœud gordien de leurs vies entremêlées.
C’est ainsi que l’autrice distille peu à peu les indices. Bien que l’on comprenne assez vite (avec la disparition du piano appartenant à la mère de Diane) où le cœur de l’histoire se situe, les développements ne manquent pas de surprendre.
L’originalité des Désobéissantes réside également dans la mise en valeur d’un amour autre que sexuel entre un homme et une femme, à savoir la dévotion (Élisabeth), l’admiration (Gabrielle), un prestigieux partenariat (Rose) et un amour sans désir, soit une amitié indéfectible – un sentiment réputé communément impossible (Diane).
Pourrait-on parler de “rompol”, selon le néologisme de Fred Vargas à laquelle on peut penser en lisant cette enquête ? (ou à P. D. James par exemple, que j’apprécie pareillement). Menée en partie hors du cadre officiel des forces de l’ordre, l’histoire progresse grâce à un duo de policiers bien sympathiques dont le zèle n’a pas besoin d’être « musclé » mais stratégique.
C’est donc avec ingéniosité que l’énigme est construite et se résout à la fin d’un moment de lecture captivant.
Citations :
– p 167 : « Vous parlez d’une amie mannequin. – Vous avez vous-même fait du mannequinat ? / – Oui. C’est le destin des jolies filles, non ? / – Ah bon ? Je ne savais pas. […] / – On leur dit de ne rêver à rien d’autre. Vu qu’elles ont le physique, pourquoi s’embêter à faire des études ? La vie est tellement plus simple quand on est jolie. »
– p 245 : « Christophe avait toujours eu beaucoup de mal à évoquer des sujets intimes avec sa fille. Il avait longtemps cru qu’il n’aurait pas à le faire, que sa femme s’en chargerait. »
– p 247 : « Chacune avait rêvé d’une sœur ou d’un frère avec qui se chamailler. Elles s’étaient créé leur fratrie de cœur, du moins pendant un temps. Avant que la réalité rattrape cette illusion. Elles n’étaient pas du même sang. Diane percevait maintenant la fragilité de ce lien. L’amitié demandait un travail constant. Il fallait se battre pour la préserver. »
– p 286 : « Mais la puissance du lien qui unissait Marcus et Diane le troublait. Ils s’aimaient sans désir, et ni la société ni leur entourage n’auraient pu le comprendre ni l’accepter. »