
Cédric Le Penven, Verger
2019, Editions Unes, 80 p.
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Masse Critique » de Babelio dont je remercie les organisateurs et les organisatrices ainsi que les éditions Unes.
Verger est un écrit en prose avec retour à la ligne – comme des vers libres – ; pas de strophes mais des paragraphes ; pas de rimes mais des images ; peu de points et donc peu de majuscules – comme un souffle ininterrompu – ; une structure parcellée, un rythme impromptu, une parole qui jaillit du tréfonds de l’âme. C’est un écrit poétique.
Le récit, lui, est linéaire, il se déroule au fil des mois et des saisons. Il épouse le travail dans un verger, en fait la description au cours des journées, depuis les détails jusqu’à des réflexions humaines et philosophiques. Les travaux comportent plantation, compost, paillis, traitement des maladies, greffe, cueillette, pauses, etc., pas forcément suivant cette chronologie, mais en parallèle pour certains, pour une vision d’ensemble. Au passage, l’auteur ne manque pas de critiquer les méthodes modernes : « tu sais trop combien ton grand-père est mort parce qu’il épandait des produits miracles par hectolitres sans la moindre protection ».
Cédric Le Penven propose un « rapport au monde » attentif et attentionné, apposant « notre marque humaine » avec équilibre et le respect dû à la nature.
De la même façon qu’il soigne son verger, il soigne ses blessures (p 25, 42-3, 52-3, 64, 68). Ou plutôt le verger fait resurgir des souvenirs pénibles qui tendent à démontrer une violence intériorisée qui ne demande qu’à s’extérioriser afin de mieux guérir.
Pour le professeur de lycée, ce retour à l’enfance par introspection, intercale de brefs mais alarmants signes de maltraitance, de traumatisme, de brutalité qui dépassent la tolérance vis-à-vis de la rudesse campagnarde.
Passer du « je » au « tu », puis de nouveau au « je » imprime une distanciation. Le narrateur s’« enferme des heures entières avec un double » (p 71) qui non seulement atténue sa souffrance, mais s’adresse éventuellement à un autre plus général : ce n’est pas « son » double mais « un » double. C’est lui qui va le « réconcilier avec [lui]-même », alors que son ambition ressemble à celle de « Prométhée et Sisyphe » (p 57).
Jardiner met en ordre le chaos. Conjointement, c’est un rappel incontournable : « j’avais oublié – tout doit disparaître. »
NB. Ce livre a été ajouté à ma liste “titres d’ordre végétal” et à mon “écrit en cours” – à lire dans la rubrique “Mes projets”.
Citations :
– p 11 : « à l’heure où les oiseaux nocturnes s’endorment au chant des merles »
– p 11 : « huit heures dans les arbres commencent »
– p 12 : « dans ce geste de cueillir, je trouve de quoi penser et mourir des heures entières »
– p 33 : « dans une lumière de plâtre, j’ai tant remué mon regard »
– p 36 : « le froid et l’humidité éprouvent l’amandon qui se cache à l’intérieur : il doit rentrer en lui-même, résister aux assauts du gel, pour que germe en lui un projet d’évasion »
– p 38 : « c’est toujours cette tentation, ce réflexe, d’ajouter des feuilles pour faire un peu d’ombre à nos certitudes »
– p 39 : « une blessure n’est jamais aussi belle qu’à l’air libre »
– p 46 : « on ne peut rien contre le goût du sol »