
Leonora Miano, L’autre langue des femmes
Grasset 2021, lu en numérique 202 p
Leonora Miano nous invite à réfléchir sur le féminisme mis aujourd’hui en exergue. Elle nous signale qu’il ne comprend pas tous les féminismes, qu’ils soient locaux, liés aux traditions ou géopolitiques. Le terme aujourd’hui dédié (à ce qu’il reste encore à définir) universalise des revendications se rapportant le plus souvent à celles des femmes occidentales, les plus médiatisées.
Puisque les femmes sont divisées socialement entre mythes et croyances, clans et hiérarchies, la sororité est souvent difficile. Le patriarcat balaye bien des efforts. Quelques-unes tracent leur voie personnelle mais peu réussissent à partager globalement les acquis chèrement payés.
Loin de consacrer certaines cheffes comme féministes avant l’heure, et loin de toute récupération, l’autrice garde en considération la personnalité et le vécu des femmes africaines. Quoique certaines aient été remarquables, elles ne sont pas des héroïnes à tous prix : elles ont eu leurs défauts, ont fait leurs erreurs et ont poursuivi des désirs bien souvent égoïstes – comme beaucoup de dirigeants masculins. Cependant, malgré tous les despotismes, Leonora Miano démontre qu’il existe une autre langue avec laquelle les femmes subsahariennes arrivent à se faire entendre.
L’écrivaine franco-camerounaise ne rejette pas en bloc le féminisme comme un nouvel impérialisme (p 164), elle ne cherche pas non plus à « exhumer » (p 131) ces femmes aux destins exceptionnels pour en faire des modèles. En revanche, elle insiste sur celles qui, en collectif, anonymes le plus souvent ont su influer à leur manière sur leur communauté. Car c’est de ces dernières que l’autre langue des femmes peut naître et doit se distinguer de celle des hommes, sans pour autant la nier : une voix de résilience et d’intégrité, de partage et de respect, de féminité dans la dignité. Elles expriment avec force leur droit d’exister au monde en tant que femme.
Le style de Leonora Miano est lettré et en même temps percutant. Il reste châtié sans avoir froid aux yeux. Son érudition patente se double d’une documentation qui justifie les nombreuses notes auxquels des lecteurs et lectrices non coutumiers de l’histoire politique africaine peuvent se reporter. Les chapitres viennent illustrer l’introduction, comme les exemples une thèse.
Citations :
– p 45 : « La traduction concrète d’une autre langue, serait la relation entre femmes, sous tous ses aspects. Il ne s’agirait pas de produire une idéologie supplémentaire, un « isme » de plus, mais de mettre en place une pratique alimentée par le respect, l’empathie, la volonté se valoriser l’autre, l’acceptation de son vécu comme source d’apprentissage. »
– 46 : « C’est en construisant leur puissance propre d’abord, et pas en postulant comme principe premier la prise d’assaut des baronnies masculines. »
– p 87 : « Se borner à inverser les rôles pour endosser celui du dominant et reproduire ses méfaits, est un abaissement. »
– p 102 : « L’autorité n’est pas le mépris. »
– p 106 : « Ce qu’elle apporte à l’autre langue, c’est la nécessité de ne pas se laisser gouverner par sa douleur, aussi profonde soit-elle. »
– p 180 : « Parce qu’elles se sentaient dotées d’un pouvoir, elles surent le découvrir, faire en sorte de le manifester. Tel est leur legs le plus précieux à la communauté des femmes : l’exemple de l’ancrage en soi-même. C’est cela, l’autre langue des femmes. »
– p 196 : « La violence exercée par les hommes ne témoigne jamais de leur capacité à dominer les femmes. Elle dit tout l’inverse. »