
Haruki Murakami, Des hommes sans femmes
Belfond 2017, lu en numérique 218p
Voici sept nouvelles qui nous livrent les pensées d’hommes qui ont perdu une femme. Que ce soit par un deuil, une rupture, un départ, un adultère, une histoire inaboutie, pour une raison ou pour une autre, ces femmes aimées sont à présent absentes et imprègnent l’homme d’un souvenir indélébile.
Le recueil est donc empli de nostalgie, mais aussi d’incompréhension. La femme reste un mystère : « vous aurez beau penser que vous avez compris quelqu’un que vous avez aimé, il n’en reste pas moins impossible de voir au plus profond de son cœur ». C’est cette incompréhension qui dote la femme d’« un organe indépendant » affecté au mensonge, dans la troisième nouvelle. Explication simpliste d’un amoureux malheureux, qui lui sert de consolation à défaut de remède. Si les femmes mentent, les hommes aussi et chacun ne dénonce que ce qui le fait souffrir.
Vu du côté des hommes, les femmes prennent alors figure de monstre : les lamproies sont des animaux non seulement prédateurs mais parasites. Ce n’est pas lors d’un combat loyal que la lamproie tue sa victime (la truite/ l’homme) mais par la dissimulation et un lent supplice aliénant. On retrouve une métaphore assez proche dans la littérature asiatique avec « The hole » (Le jardin) de Pyun Hye-young (voir article) : la belle-mère y est comparée à une plante grimpante, étouffante, tueuse. Cette image végétale est présente également ici (p 61) : Erika confesse qu’elle a « soif de connaissance » qu’elle veut « faire des expériences, rencontrer des gens nouveaux » pendant que son interlocuteur pense : « J’imaginai une plante exubérante qui débordait de son pot. »
Quoi qu’il en soit, les rôles semblent inversés (femme/victime, homme prédateur) quand Haruki Murakami montre le côté insidieux et destructeur des femmes alors qu’il présente la part de vulnérabilité chez les hommes.
La solitude des hommes sans femmes (« un pluriel froid et sans fin » p 210) est un moment suspendu dans la vie d’un homme, un passage et une épreuve plus ou moins initiatique. L’homme se confronte à ses propres démons : « En fin de compte, notre seule prérogative est d’arriver à nous mettre d’accord avec nous-même, honnêtement, intelligemment. Si nous voulons vraiment voir l’autre, nous n’avons d’autre moyen que de plonger en nous-même. »
Confession, lucidité, peurs, drames, les pensées surgissent tant bien que mal d’un univers semble-t-il inaccessible où les hommes sont si peu bavards, si peu communicatifs.
Le fantastique des situations se mêle au flou des sentiments provoquant un malaise parfois indéfinissable, tandis que l’auteur nous promène avec aisance et subtilité dans les contours d’une histoire humaine faite d’espoirs et de désespoirs.
Citation(s) :
– p 210 : « Seuls les hommes sans femmes peuvent comprendre à quel point il est déchirant et horriblement triste d’être un homme sans femmes. »