
Didier Decoin, Est-ce ainsi que les femmes meurent ?
Grasset 2009, Lu en numérique 109 p.
Le titre m’a intriguée : est-ce une interrogation métaphysique ? Une approche philosophique ? Une déduction factuelle ?
Le récit rappelle un meurtre (et ceux qui l’ont précédé) non seulement atroce (à cause des sévices et de la mort infligés par le prédateur à la proie) mais également perturbant (à cause de l’indifférence, voire de la fascination/résignation face à la violence, qu’implique la non-assistance à personne en danger, – rappelons qu’aux États-Unis ce n’est pas un délit).
Est-ce ainsi que les femmes meurent ? Parce qu’elles sont irrémédiablement les proies les plus faciles ? (c’est ce que le meurtrier dit : pourquoi s’embêter à courser une antilope alors que le jeune gnou est à portée de main), ou bien parce qu’elles ne déclenchent pas le courage d’intervenir chez des témoins qui, habitués à ce qu’elles soient des victimes toutes désignées ne se dérangent pas, sur le principe du chacun pour soi ou de fausses excuses (c’était une querelle de chats/d’amoureux), – lorsqu’ils n’ont pas un grief à imputer à la victime, qui se trouve ainsi pleinement puni ! (homophobie, par exemple).
Le meurtre de Kitty Genovese est un fait divers réel survenu aux États-Unis dans les années 60. On peut parler d’un syndrome psychologique appelé, à la suite de cette affaire, le « syndrome de Kitty Genovese », soit un « effet spectateur » selon lequel plus il y a de témoins lors d’une agression, moins la victime a de chances d’être secourue, moins les observateurs interviendront pour interrompre le « spectacle ». Ici, ils sont 38 !
Mais qu’en est-il de la bêtise (si les autres ne font rien, pourquoi je ferais quelque chose ?), de la lâcheté (je ne veux pas m’attirer des ennuis), de la cruauté (ouf, ça ne m’arrive pas à moi !), voire de la méchanceté (elle l’a peut-être cherché…) ?
Alors : pathologie ? Maladie mentale ? Schizophrénie ? Pulsion de plaisir dépravé (nécrophilie), de puissance dévoyée (domination brutale), ou de violence aléatoire et gratuite ? Pour ce meurtrier, la valeur de la vie d’une femme est identique à celle d’une mouche qui n’avait pas à se trouver si près de sa « tapette ». Sauf que c’est lui qui la traque…
Si l’exposé de Didier Decoin ne juge pas, reste en recul (vu que, pour commencer, le narrateur était absent le jour du crime), il a cependant la volonté de s’intégrer au groupe de ceux qui s’indignent. Il appuie en fin de compte sur la citation bien connue d’Albert Einstein : « Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire » (selon traduction).
Mais pour en revenir au titre, on peut se demander s’il ne soulève pas simplement des faits, s’il appelle à une interrogation existentielle ou à une réflexion philosophique ?