
Marguerite Yourcenar, Archives du Nord
Gallimard 1977, 376 p.
Des archives familiales et des documents communiqués par les Archives du Nord de la France, quelques ouvrages généalogiques, des albums de voyage, des souvenirs du père « égrenés au cours de conversations, des « lettres conservées par hasard », un carnet militaire, des photographies avec quelques dates, des écrits laissés par son demi-frère…forment cette autobiographie.
Peut-on parler d’autobiographie d’ailleurs si l’on considère que Marguerite Yourcenar fait partir son tracé généalogique depuis « La nuit des temps » (chap. I) pour finir à son arrivée au Mont Noir à l’âge de six semaines ? (p 370). Elle ne réfute pourtant pas ce nom (p 340, p 373) quand bien même elle parle plus de sa famille que d’elle-même. Elle se justifiera lorsqu’elle affirme que « le reste est peut-être moins important qu’on ne croit » (p 374) assurant que pour son père « l’idée de se dépeindre ou de s’expliquer profusément ne lui venait pas « (p 343). Elle lui ressemble sur ce point. Quoi qu’il en soit, elle « n’écri[t] pas un roman » (p 349, p 340).
Cette biographie familiale, avancerait-on alors, pourrait se lire comme un roman tant le style est fluide, le fond érudit et la plume élégante si elle n’en rejetait pas l’appellation (p 349). Le ton mi cruel par moments, mi affectueux avec modération, alterne entre la critique (pas trop acerbe) et l’ironie (parfois compatissante) qui perce à de nombreux contours de phrase. Elle cherche à comprendre comment « celui-ci pourtant est né de celui-là » (p 342) en ne parlant pas que de son père.
Elle confesse en toute fin qu’ « elle tombera et se relèvera sur ces genoux écorchés ; […] apprendra non sans efforts à se servir de ses propres yeux, puis, comme les plongeurs, à les garder grands ouverts » (p 373). Et si elle ne répugne pas à parler d’elle, elle n’est cependant pas pressée, doutant qu’il soit aisé de « parler sans complaisance et sans erreur de quelqu’un qui nous touche inexplicablement de si près”(p 373).
D’une culture qui a ravi les académiciens qui l’on élue première femme sous la coupole, l’écrivaine dénonce les travers d’une certaine société « clinquante » (p 342) et d’une certaine époque (insouciante alors que deux guerres mondiales allaient la déchirer) tout en prédisant les conséquences dont nous sommes témoins de nos jours : « ce qui danse aujourd’hui sur le monde est la sottise, la violence, et l’avidité de l’homme (p 372).
Citation(s) :
– p 73 : “À chaque époque, il est des gens qui ne pensent pas comme tout le monde, c’est à dire qui ne pensent pas comme ceux qui ne pensent pas.”
– p 78 :” En avance sur son temps, Rubens a vu que le courage qui refoule par trop complètement la douleur empoisonne celle-ci, et nous avec elle.”
– p 300 « Il m’a fallu longtemps pour comprendre que cette forme d’émotivité est souvent le fait de nature pauvres qui ne donnent rien en retour et s’étonnent qu’on donne »
NB : Ma visite de la maison au Mont Noir est ici.
Je comprends mieux ce qui touche l’environnement décrit dans cette autobiographie en ayant visité le parc et les villages alentour, mais je regrette d’autant plus que le château ait été détruit.