
Danny Laferrière, Comment faire l’amour avec un nègre sans…
1985, lu en numérique (104 p).
Ce sont Vingt-huit chapitres aux titres plein d’ironie et de brio. Des regrets percent sans trop d’amertume ( ?) ou du moins sans rancune vindicative ( !).
Mais il y a une grande SOIF ! Le mot est en majuscules et l’utilisation massive des majuscules ressort comme des cris.
En effet, le titre du livre dans le livre (p 41) s’appelle : Paradis du Dragueur Nègre (voire Négroville, au théâtre). Il est, en fait, plus exact. D’une part car l’auteur montre une société où les hommes noirs ont une véritable faveur auprès des femmes blanches et d’autre part car l’homme noir ne se fatigue pas trop (son colocataire Bouba est couché sur son canapé, dialoguant avec Bouddha et le narrateur est en quête d’une inspiration devant sa Remington 22, s’inspirant de quelques sourates du Coran). La jeune femme, elle, est active et pleine d’appétits, elle est étudiante, fait les courses et le ménage, etc.
Toutefois, la provocation du titre joue sur deux tableaux: d’un côté, il utilise le mot “nègre” réprouvé socialement au titre d’un racisme primaire, et d’un autre côté, sur le fait de “proposer” des conseils, des recettes (?) pour ce qui relève d’un acte physique qui pourrait être jugé comme pornographique (la couverture ne laisse aucun doute sur le sujet même si la pudeur d’un voile le cache à la vue, avec humour). Ce titre apporte donc surprise et curiosité sur un ancien (?) tabou littéraire (et un stéréotype sur la puissance sexuelle des hommes de couleur).
On aurait pu appeler le livre : « Chroniques de chambre », car c’est une suite de jours sans actions véritables, des déambulations dans la vie montréalaise livrées à l’oisiveté et à l’errance. Il y a quelques incursions sur un territoire où le Jazz, l’alcool, le sexe sont les totems des nouveaux Bobos, Wasp et autres jeunes qui se cherchent et se réunissent aux « Clochards Célestes » (nom éminemment évocateur et bien trouvé – à moins qu’il existe réellement, mais mes escapades à Montréal ne me l’ont pas fait découvrir).
Défilent alors des types de filles anglo-saxonnes au milieu d’une faune urbaine qui mixte les marginaux, bons ou moins bons « sauvages ». C’est comme un nouveau snobisme, tiraillé entre le désir et la peur (p 68) créant une nouvelle mafia. Les hommes noirs profitent de l’engouement des femmes blanches et surfent sur les clichés attachés à leur virilité : « à défaut de nous être bienveillante, l’histoire nous sert d’aphrodisiaque » (p 67).
Chester Himes (ayant été le propriétaire de la Remington 22) finit par insuffler l’inspiration au narrateur : l’autobiographie à 80% est mise en place et le livre qui parle de ses phantasmes (p 46) est mis en abyme.
Les personnages représentent des types de personne et n’ont pas tous des noms. Ce sont des « nègres » ou des « blanches » ou, lorsqu’il précise un peu plus, elles s’appellent Miz Littérature, Miz Mystic, Miz Orange mécanique, etc. Qui sont R et Q dans l’interview ? (Q pour “cul” de Miz Bombardier ? et R pour Remington ?).
Enfin, c’est avec sarcasme qu’il étale les clichés sur les noirs et qu’il n’aimerait pas en faire sur l’écrivain : « C’est le destin de tout écrivain que d’être un traître. J’espère que c’est mon premier cliché (…)” (p 100) .
Quoi qu’il en soit, le livre du narrateur est qualifié de « fort », « lucide », « violent », « cru » et « pur ». Celui de Laferrière s’amuse à former des expressions du genre « nègre-freudien », « nègre-cartésien », etc., de la même façon qu’il prend le parti de dire les mots tabous : « bite », « nègre », « baise », etc., afin de s’en moquer et de faire prendre conscience, par la provocation, qu’il faut sortir du racisme primaire. Les événements récents (la mort de George Floyd, au Minnesota, 25/05/2020) prouvent, s’il en est besoin, que nous en sommes encore loin.
Entretien avec Dany Laferrière sur ina.fr ici
Avec une timidité cachée sous la plaisanterie, une fragilité devant un sujet sensible et épineux, Dany Laferrière se fait le chantre de « la conscience des noirs qui parle ».