
Patricia Lamare, La Théorie de la Désintégration Positive de…
Sens et Liens, 2017, 164 p.
Sous-titre : “Un autre regard sur la surdouance, la santé mentale et les crises existentielles. 2e édition.”
Présentation éditoriale : “Être surdoué, et ensuite ? Quel sens donner à sa vie, à la difficulté de vivre avec les autres ? Cette présentation de la théorie de la désintégration positive de Dabrowski (1902-1980) suivie d’illustrations cliniques donne des clefs de compréhension et quelques pistes pour vivre parmi les autres…”
Cet ouvrage de psychothérapie présente une théorie peu connue en France, pays qui reste plus attaché à la psychanalyse freudienne. Dabrowski est un humaniste qui fonde son traité sur des valeurs morales qu’il pose comme universelles. Sa théorie est innovante, mais controversée, car elle “met à mal ce qui est communément admis, met en danger une certaine notion de l’ordre et de la bonne marche de nos sociétés” (p 92).
Patricia Lamare apporte, avec un souci de vulgarisation afin d’éviter tout blocage à cause d’un jargon spécialisé, une analyse claire et précise d’une théorie dont on pourrait faire un usage plus étendu dans le traitement des cas présentés. Le discours reste complexe et quelques termes peuvent parfois freiner la compréhension (le lexique en fin d’ouvrage est utile). Cependant, Patricia Lamare a su fournir une vision claire et simple du texte initial à l’aide de tableaux récapitulatifs et de dessins. Répétitions et résumés facilitent également la compréhension et la progression de la lecture.
La TDP est le cheminement potentiel de l’individu. Elle positive les conflits comme source d’évolution, intègre les hauts et les bas comme étapes nécessaires, mais pas définitives. Son but ultime est d’expliquer comment chacun est capable de s’aligner sur ses propres valeurs. La différence est autorisée sinon réclamée par rapport au point de départ. Il s’agit d’accepter cette chance, même difficile à gérer. La résolution de la crise existentielle élucide le décalage ressenti et amène à une renaissance vers d’autres choix de vie. Une acceptation totale des idéologies préexistantes “ne reflète, au fond, qu’une indifférence morale et intellectuelle, voire un manque d’intérêt pour le développement de soi et d’autrui”(p 93).
L’évolution de la perception de la santé mentale est constante et la mutation du cerveau est appelée à croître avec les progrès technologiques enregistrés ces dernières décennies. La TDP affirme que la santé mentale n’est pas altérée par ces crises de croissance, au contraire. Les patients ne sont pas fous, ils sont en chemin vers une croissance véritable possible, partielle ou totale. Il convient alors d’accompagner le processus sans pour autant promettre de réponses.
La patientèle n’a pas de limite d’âge. Plusieurs âges sont notamment reconnus ( p 111). À tous les niveaux, les nouveaux choix dont le premier est de rejeter les anciens sont coûteux et blessants, pour le patient comme pour son entourage. Il n’y a pas de “moyenne” dans la réussite ni dans la durée pour arriver à cette réussite. Chaque personne est unique. Le but est de réfléchir sur son rapport à la « normalité ».
Il reste à définir qui est doué, surdoué ou génial (entre ce qu’on donne à voir (p 31), comment on est perçu (p 91), ce que l’on extériorise (p 110)), et qui peut se sentir un tant soit peu concerné ? À ce jour, on se fonde encore sur les tests de QI en vigueur. Toutefois, l’intelligence est multifactorielle. Trop réduite aujourd’hui, elle admet pourtant différents profils. Mais indépendamment ces tests permettent de détecter d’autres besoins thérapeutiques éventuels.
Imprégnée des concepts développés par la psychologie et ses différents courants – mais dont elle se démarque à certains niveaux –, la TDP se réfère aux principes philosophiques. Le mythe platonicien de « la caverne » sert à démontrer comment la réalité n’est pas ce qu’en donnent à penser les ombres que le feu nous fait voir sur les murs de notre logis (notre zone de confort). Si seuls quelques individus arrivent à quitter la caverne pour sortir à l’air libre, quelques-uns redescendent enseigner à ceux qui sont restés en bas. Ils peuvent encore se perdre en route (p 53) ou atteindre le niveau de l’intégration secondaire. Ces stades sont « illustrés » par le schéma de la montagne (voir ci-dessous) dont le sommet reste le climax valorisé.
Le rapprochement avec le courant de l’existo-essentialisme (p 54) est inévitable puisque la volonté est, sinon le déclencheur unique, mais l’outil nécessaire pour mener sa vie selon ses choix. Nietzsche et Kierkegaard verront après Platon (p 61) dans la liberté la seule réponse possible pour l’homme (étant entendu que ce terme est pris dans son acceptation générale, concernant le genre humain il inclut la femme bien évidemment. Elles font l’objet des pages 136 à 140 en particulier).
On a tendance à penser qu’une grande intelligence doit être au service des autres, qu’elle doit être productive. Dans le cas contraire, elle est inutile, voire pénalisante. La TDP ne porte aucun jugement quand bien même l’objectif est fortement marqué par l’idéal humanitaire de Dabrowski. En revanche, cette théorie insiste sur le fait que l’ajustement à la société n’est pas un gage de bonheur personnel et qu’une réelle personnalité a plus de chance de faire profiter de ses atouts l’ensemble de la communauté humaine par de vraies réalisations.
Quelle que soit l’image choisie : la montagne à escalader sans débouler ou la caverne dont il faut s’extraire, en tirant les autres hors de l’obscurité sans se perdre soi-même, l’idée est la même. La démarche est pénible mais enrichissante, risquée mais généreuse, salutaire pour soi et pour la communauté la plus élargie envisageable.
Quelques précisions sur le vocabulaire :
– TDP : Théorie de la Désintégration Positive,
– SE : une réponse plus intense que la moyenne aux stimuli (il existe cinq SurExcitabilité),
– HP : hauts potentiels, personnalité intense,
– Faux self (angl) : le “soi” socialement construit répondant à ce que l’on attend des personnes,
– Congruence : adéquation, adaptation ; Math : nombres ayant un reste identique après division par un autre nombre,
– Thymie : humeur, siège des passions,
– “Nurture” (angl) : nourriture, soutien, croissance,
– Burn out (angl) : est un épuisement pas une dépression.
Interview (2021) à écouter ici.

Citations :
– p 21 : « Les buts de la vie sont la réussite et le pouvoir détenu sur les autres, souvent à leur détriment et/ou dans un esprit de compétition. La vie y est modelée par l’influence et les pressions de la société, les valeurs y sont mesurées à l’aune de la « réussite » : argent et statut social. » [au niveau de l’intégration primaire]
– p 22 : « Un niveau de santé mental faible correspond à une forte intensité de fonctionnement automatique, les activités étant très stéréotypées ».
– p 22 : « L’intégration secondaire […] constitue la pleine réalisation de l’idéal de la personnalité, une personnalité aboutie […]. Cet aboutissement est concrétisé par l’établissement d’une hiérarchie de valeurs propres à l’individu qui lui sert de « boussoles morale » et guide ses actes. »
– p 24 : « Lorsqu’ils considèrent leur environnement, ils sont de plus en plus perturbés par l’écart qu’ils ressentent entre « ce qui devrait être le monde » et « ce qu’il est réellement. »
– p 28 : « La prise en charge thérapeutique à ce niveau [niveau III] ne devrait pas viser à guérir l’individu (puisqu’il vit une crise dont l’issu est salutaire pour lui) mais plutôt de l’accompagner dans ce processus, l’aider à expérimenter stress, anxiété voire épisodes dépressifs en tentant de leur donner un sens autre que la pure souffrance. »
– p 29 : « Le niveau IV marque le début de l’Intégration Secondaire ; l’individu s’éduque et corrige ses erreurs lui-même, il devient conscient de ce qu’il doit apprendre et cherche par lui-même les sources d’information. »
– p 32 : « Lorsqu’on fait découvrir ces concepts à des surdoués et à leurs parents, il se produit une identification immédiate et une réaction de soulagement. Cela permet de donner un sens à ces réactions « extraordinaires ». »
– p 54 : « L’expression pleine du caractère d’un individu reflète à la fois son essence et les choix qu’il fait. »
– p 61 : « Dabrowski […] répond alors à ceux qui lui demandent le chemin… qu’il n’y a pas de chemin ».
– p 71 : « La TDP réserve l’appellation « personnalité » au plus haut niveau de fonctionnement humain [qui] n’est par ailleurs pas statique car l’auto-amélioration continue guidée consciemment par l’individu et son système de valeurs. »
– p 91 : « La plupart des surdoués et créatifs […) sont perçus comme immatures, naïfs, trop ouverts, sensibles, idéalistes, romantiques et surtout inefficaces (voire improductifs) dans leur comportement quotidien. »
– p 99 : « Nous trouvons du réconfort auprès de ceux qui sont d’accord avec nous, la croissance auprès de ceux qui ne le sont pas. » F. A. Clark.
– p 109 : « L’homme raisonnable s’adapte au Monde ; l’homme déraisonnable persiste à essayer d’adapter le Monde à lui-même. Ainsi le progrès est entre les mains de l’homme déraisonnable. » G. B. Shaw.
– p 134 : Les « valeurs encore largement transmises aux filles dans nos sociétés. Elles reçoivent donc 2 messages quasiment irréconciliables et diamétralement opposés. Elles peuvent être amenées à choisir en réussite et féminité. »
(Quelques coquilles et/ou tournures anglophones (type faux-amis) sont à relever pages : 24, 54, 71, 72, 101, 109, 11, 120, 129, 131, 144 x2, 147… Elles ne nuisent pas gravement à la compréhension générale.)