
Georges Millot, La butte 3D
L’Harmattan 2021, 240 p.
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Masse Critique » de Babelio dont je remercie les organisateurs ainsi que les éditions mentionnées.
Je ne pensais pas trouver dans ce livre un guide touristique et en cela, je n’ai pas été surprise. Ceci étant, ayant habité moi-même à Montmartre, j’ai été attirée par ce titre espérant y retrouver quelques souvenirs. La quatrième de couverture insistait sur le côté plutôt historique et emblématique de la butte. Là, j’ai été surprise : il y a moins d’histoire passée ou future (incursions et références, pour le côté 3D, il est vrai) que celle vécue au présent par une population bigarrée qui peuple le boulevard, entre Clichy et Barbès principalement. L’auteur a choisi de parler du versant populaire plutôt que du versant huppé, du bas de la butte en montant jusqu’à la place des Abbesses ou du Château rouge où fourmille les prostituées, travestis, pickpockets, truands de tous acabits, touristes en mal de sensations…
Puis j’ai été étonnée par l’intrigue. Car c’est un roman. Un roman d’amour, « une romance » qui va mener l’écrivain à écrire le livre que l’on lit. J’ai alors pensé à James Baldwin et à son roman Giovanni’ room.
Yves, l’écrivain de l’histoire, sublime et transcende un groupe de prostituées qu’il baptise « les Voilières ». Subjugué par les images colorées et chatoyantes qu’elles dispersent, il passe du fantasme à la réalité, du délire à l’évidence en contemplant jusqu’à l’obsession ces beautés changeantes et irréductibles. Car elles s’échappent. Non seulement des coups de filet policier, pas toujours des coups de leur souteneur, mais sachant protéger leur monde intérieur quitte à tomber dans la fantasmagorie ou l’utopie d’un lendemain merveilleux. Ce futur se calque sur un passé rebelle avec l’épisode de la Commune au cours de laquelle Louise Michel, Marie Ferré et Jules Vallès ont conduit les affranchis dans la lutte contre le gouvernement de Thiers. L’histoire peut prendre la tournure assez ironique d’un balancier !
Et la surprise fut complète, avançant peu à peu dans cet univers interlope que l’écrivain décrit sans vulgarité ni grossièreté. En effet, le style alterne entre le langage argotique du milieu avec son jargon lapidaire d’une part, et de l’autre les envolées lyriques, emphatiques, poétiques, mythologiques, astrales… La profusion d’images musicales, picturales, littéraires se double d’un vocabulaire érudit et fastueux, apprêté et sensible. Autant de contradictions qui se retrouvent chez les personnages car, comme l’auteur le dit dans son interview (où il insiste peu sur cet écrivain en vaine d’inspiration que le milieu interlope fascine) : « les gens ne sont pas ce qu’ils sont ». Yves, le petit copain de Dina, va donc découvrir sous les voiles de “ces dames” une réalité bien différente de celle à laquelle il s’attendait, se dévoilant lui-même et à lui-même, par la même occasion (p 159). Il devient “Dark” (p 82-3).
Ce monde étrange fait de faux-semblants et de crudité, de brutalité et de loyauté, de manigances et d’idéaux est un tableau aussi détonant qu’ont pu l’être, à leur époque, ceux de Toulouse-Lautrec par exemple.
PS: la deuxième note aux lecteurs est assez inattendue. Elle explique le propos de Georges Millot qui intitule son livre La butte 3D (pour trois dimensions) et les abréviations qu’il utilise (DNJ, DUMF, DTLC ). Cet encart montrerait toute l’attention portée par l’auteur au texte qui serait des récits réunis par l’éditeur (?) (p 182). Puisque le paratexte est important, il convient de relever les deux exergues : concernant la citation de Clifford D. Simak, je répondrai que j’ai pris “le temps de lire ce livre”, quant à celle de Friedrich Engels, cet ouvrage veut en être la preuve.
Citations :
– p 30 : “Peut-on se montrer jaloux d’une licorne?”
– p 107 : « L’émotion qui me transforme auprès d’Elles, déversée abondamment, claire et glacée comme l’eau d’un puits sur le pelage d’une île des Cyclades, j’ai admis qu’elle se nomme le plaisir. »
– p 138 : « Ce Saint-Simon au petit pied a visiblement élevé La Chaudière au rang de la Villa Médicis montmartroise, et métamorphosé l’abattage des invertis des Abbesses en cortège des Muses. »
– p 230 : « C’est-à-dire que le quotidien, le langage de tous les jours, correspond au sommeil. Le langage des périodes amoureuses ou révolutionnaires, est le véritable langage, conscient, éveillé, clair et distinct.”
LA BUTTE 3D – Georges Millot – YouTube, entretien à écouter ici