
Stendhal, La Chartreuse de Parme
Carrefour éditions, 1994, 632 p.
Fabrice del Dongo a un petit air de Julien Sorel. Il vit dans l’action et dans l’émotion plus que dans la réflexion. Il allie la fougue à la naïveté de la jeunesse. Le récit enchaine les péripéties, futiles, risibles, improbables ou scabreuses. Stendhal semble s’en donner à cœur-joie.Pour tromper l’ennui le jeune noble impécunieux cherche l’aventure et la passion, avant de tomber amoureux de celle qu’il ne faut pas, Clélia. Après avoir battu la campagne, occis quelques paltoquets, il s’est résigné à la prêtrise qui ne l’a pas empêché de mener une vie dissipée, pleine de péripéties, mais vers laquelle il se réfugie finalement au désespoir.
Ce monument de la littérature romantique est une œuvre majeure où l’écrivain déploie un style ample, voire lyrique, et en même temps tonique. L’écriture alterne entre celle qui accumule force détails, de noms, de villes, d’actions et celle qui dépeint les états d’une âme romantique, ne laissant que peu de temps aux lecteurs pour reprendre leur souffle.
« Rebelle à l’amour » (p 178), le Monsignore devient libertin (p 282) avant de se retirer dans cette chartreuse de Parme (p 631) qui donne le titre au roman. Quel destin tragique pour l’homme dont « le petit habit noir râpé » a fait la célébrité et qui va mourir d’une passion bien laïque.
Il est clair que les femmes dominent le jeu chapeautant l’ingénuité des uns et la malice des autres. Gina del Dongo, duchesse Piétranera, la Sanseverina…s’impose dans toute sa complexité et son impétuosité, son pouvoir de séduction et politique. Elle est la clé du destin de son neveu indécis et brouillon (p 43). Son amour restera indéfectible malgré les négligences et la désinvolture de ce dernier. Elle ralliera ses amis, Mosca (qui passera du bonheur à la jalousie mais saura s’adapter) et même Clélia (pour un bonheur qui ne lui apportera que du malheur).
Stendhal décrit une Italie aux paysages magnifiques autour du lac de Côme départageant trois pays : l’Italie, l’Autriche et la Suisse (d’où le problème récurrent des passeports). Cependant, le contexte social, politique et historique est chaotique, soumis aux intérêts personnels et aux délits de toutes sortes (vengeance meurtrière, inceste, despotisme, etc.). L’écrivain l’oppose à la France et compare les français avec humour (p 77, 787, 222).
On peut lire La Chartreuse de Parme sous différents angles selon que l’on s’identifie par l’âge , le sexe ou la profession à l’un ou l’autre des personnages principaux : le jeune romantique, la femme mariée par obligation, l’homme/la femme mûr/mûre ambitieux/se. Une relecture à quelques années d’intervalle peut faire passer le lecteur et la lectrice de l’une à l’autre catégorie et ainsi changer le point de vue, moins sur l’ensemble de l’œuvre que sur les protagonistes.
Citations :
– p 39 : « Elle avait trop d’esprit pour ne pas sentir parfois l’ennui qu’il y a à ne pas échanger ses idées. »
– p 43 : « – Parlez donc avec plus de respect, dit la comtesse souriant au milieu des larmes, du sexe qui fera votre fortune ; car vous déplairez toujours aux hommes, vous avez trop de feu pour les âmes prosaïques. »
– p 334 : « Sa parole a dit : la prison ! et son regard : la mort ! »
– p 519 : « Nous allons retomber dans la monarchie ordinaire du dix-huitième : le confesseur et la maîtresse. »