
Jules Verne, L’école des Robinsons
Le livre de poche, 1968, 263 p
Tous les jeunes épris d’aventures connaissent L’île mystérieuse, Voyage au centre de la terre, 20 000 lieues sous les mers, etc., célèbres romans de Jules Verne. L’école des robinsons est peut-être moins connu. Car bien qu’il y ait le mot « Robinson », il y a aussi le mot « école ». Et c’est là que le tour pris par le roman est capital !
Il y a bien des aventures, Godfrey Morgan et T. Artelett (surnommé Tartelett (p 34), amorçant le comique de la situation) sont en effet confrontés à leur survie et doivent s’organiser pour recréer un lieu hospitalier et efficace. Cependant le drame de la solitude et l’incertitude de l’avenir sont tempérés par ce que pressent le lecteur et la lectrice, aidés par les clins d’œil de l’auteur qui leur fournit des indices répétés. L’aventure réelle pour les uns est sous-tendue par une expérience pour les autres. C’est en fait, une leçon de vie. Malgré le sentiment un peu agaçant d’avoir été manipulé, Godfrey, comme les lecteurs, en rient de bon cœur à la fin, tout autant que l’oncle bienveillant mais un peu trop didactique. En revanche, le sentiment de mystification aurait pu être autrement amer s’il n’y avait pas eu de véritables dangers auxquels les deux héros n’avaient dû faire face. Orchestrés par un concurrent malchanceux du richissime oncle W. Kolderup, la rancune tenace est venue pimenter effectivement la situation.
La mise à l’épreuve des deux héros, adoucie par quelques « cadeaux » providentiels, a pour but de faire ressortir deux points. Premièrement : l’idéalisation versus la réalité de l’état du robinson (concernant lequel Jules Verne ne manque pas de faire des références directes et malicieuses à ses éminents confrères Defoe (de son vrai nom Daniel Foe, cité ici comme « de Foe », et J.R Wiss, auteur de : « Le robinson suisse », auxquels J. Verne rend un hommage finaud) est surfaite. Elle engendre un dénigrement injuste des qualités de stabilité et de productivité de la vie rangée et domestique. Deuxièmement : la mise en lumière des capacités de chacun devant l’adversité – un peu cliché néanmoins, il faut se rappeler de la date de parution du livre pour passer sur quelques images et réflexions désuètes ou inappropriés de nos jours. Elle génère de l’héroïsme côté de Godfrey et de la dépendance côté Tartelett.
Ce roman reste toutefois surprenant dans la bibliographie de l’écrivain prolifique en roman d’aventures principalement axés sur le progrès technologique, pas que celui-ci ne soit pas éclairant sur ce thème, ni sur le fait qu’il ne soit pas initiatique du point de vue humain, mais parce qu’il est tout de même assez différent. Paru en 1882, l’auteur a alors 54 ans. L’école des Robinsons résonne peut-être comme un avertissement donné par l’homme d’âge mûr à une jeunesse inconsciente (p 29), bien qu’elle soit la source de sa gloire littéraire. Avec autodérision et humour donc, le récit est parcouru de remarques telles que : « Un Robinson ! devenir un Robinson ! Quelle jeune imagination n’a pas un peu rêvé cela, en lisant, ainsi que Godfrey l’avait fait souvent, trop souvent, les aventures des héros imaginaires de Daniel de Foe ou de Wiss ? » (p 29) – qu’il en oublie son propre apport en la matière. Puis : « Il faut convenir aussi qu’il ne s’était pas trompé davantage, en disant que les aventures des Robinsons, vrais ou imaginaires, étaient toutes calquées les unes sur les autres ! » (p 190). De plus : « C’était à croire que ce naturel de la Polynésie, lui aussi, avait lu Robinson Crusoé ! » (p 193). Et encore : « je propose, moi, de l’appeler « Mercredi », puisque c’est aujourd’hui mercredi, ainsi que cela se fait toujours dans les îles à Robinsons ! » (p 195), citations qui démontrent une volonté de désacralisation ludique et parodique.
Parmi tous les romans de Jules Verne que j’avais lus dans ma prime jeunesse, je découvre celui-ci que je n’avais pas ouvert pour une raison que j’ignore. C’est une lecture que j’ai donc entreprise à l’occasion du défi solidaire lancé sur Babelio, qui tombe à point nommé.