
Catherine Mavrikakis, L’Annexe
Héliotrope, 2019, lu en numérique, 159 p.
Partant d’une obsession particulière pour Anne Frank (la narratrice visite chaque année son Annexe, pendant six heures, relit son journal et fait constamment référence à l’adolescente), Catherine Mavrikakis mêle suspense, histoire du XXe siècle européen et littérature.
Une agente des renseignements – personnage éminemment fantôme -, se retrouve enfermée comme l’a été Annelies Frank. Partageant un prénom proche, Anna trouve refuge, après une mission entraimant des conséquences, dans la « pension » de Celestino, chargé de protéger les membres de l’Organisation. Sous une surveillance étroite et suspecte bien qu’agréable, elle vit ses jours de réclusion entre ses lectures et ses conversations littéraires en lien avec cet homme dont elle pressent la dangerosité sans pouvoir s’y soustraire. Un peu à l’image de ce qu’elle a fait vivre à la famille Foster. Comme un revers de bâton.
Le huis-clos est soutenu d’un côté par cette tension dramatique et de l’autre par le tramage littéraire des personnages. La culture de C. Mavrikakis s’y déploie en un hommage vibrant aux auteurs cités, démontrant – s’il est besoin –, comment la littérature peut sauver, non seulement de l’ennui, mais aussi d’un acte létal dans le cas présent. Le lien qui soude Celestino à Anna est à double tranchant. Si le personnage du cubain bavard est bien campé dans son côté agaçant, son interlocutrice reste assez floue, à l’instar des circonstances de sa mise à l’écart. Dans tout huis-clos, l’action est réduite et l’intérêt se porte sur les individus. À part la focalisation sur le duo improbable, les autres portraits sont brossés un peu vite, endossant avec le nom, le personnage littéraire qu’il incarne, sur des critères très personnels. En revanche, il ressort de cette galerie de portraits un intérêt de lecture très ludique, égal à celui que l’auteure a eu à l’écrire, sans nul doute.
La solitude et l’enfermement/confinement sont deux thèmes de L’Annexe qui auraient pu être développés davantage. La communion avec la jeune victime est indéniable. L’auteure va et vient entre le présent et le passé, entre Anna et Annelies, de façon souple et dynamique, fort à propos. Au contraire de Virginia Woolf (p 9), Anna n’a pas réclamé cette « pause » au cœur de ses souvenirs d’un Montréal familial défunt, reconnu entre toutes les destinations qu’on lui propose pour la dérouter. Elle a rejeté son passé, sa patrie, la littérature, et ce retour en arrière va déclencher une remise en question. Anna alias Albertine – une autre prisonnière célèbre (p 42) -, voit ce « drame bouffon » (p 132) comme un instant insolite (six mois) à l’écart du temps. Elle en appellera à l’Alice de Lewis Carroll, dont il est fait plusieurs mentions ainsi qu’au chat de Cheshire (reconverti en Moorjte) qui lui rappelle le chat abandonné à contrecœur d’Anne Franck. Elle passe de l’autre côté du miroir sur bien des plans. En effet, la référence à un monde fictif est claire : « Si j’aimais quelque chose, je l’apprenais par cœur. Comme Fabrice Luchini, me disais-je en riant. Comme un acteur dont les paroles les plus authentiques proviennent de tirades récitées. Il fallait éviter de me construire malgré moi un profil psychologique. » (p 8). Danger, peur, évitement, elle revient néanmoins à son point de départ : la littérature et sa famille qui « D’outre-tombe,[…] lui ouvrait les bras » (p 27). Alors, puisque Celestino lui dit : « Tu peux inventer. Tu peux devenir ta propre romancière… Ici, tu pourras réécrire ta vie… » (p 42), c’est ce qu’elle va faire, puisqu’« Anne Frank était revenue pour [la] persuader d’exister » (p 136).
Citation(s) :
– p 50 : « il n’y a pas d’avenir pour les gens qui pensent. »
Voir aussi :
– Liste des autrices canadiennes et québécoises ici,
– L’article sur le « Festival International des Écrits de Femmes » de 2021, consacré aux autrices canadiennes et québécoises : ici,
– L’article sur la francophonie incluant (bien évidemment) la littérature québécoise (écrivains et écrivaines) : lire ici.