
Clélia Renucci, La fabrique des souvenirs
2021, Albin Michel, 309 pages.
Livre reçu dans le cadre de La Communauté Culturelle Leclerc que je remercie ainsi que les éditions Albin Michel.
Nous voyageons de Paris, avec Gabriel et Oriane, à New York, avec Rose. Nous entrons dans un monde d’artistes, de musique et de fêtes, de “trips” réels et fantasmés.
Gabriel assiste au souvenir d’un spectateur happé par la jolie nuque d’une spectatrice assise devant lui. Elle est violoncelliste et la rencontre se joue un soir de représentation de Phèdre, plus de cinquante ans auparavant. Parallèlement, Rose s’échappe de la Cacophony society pour jouer dans la comédie musicale montée par le frère de Gabriel.
Nous sommes dans un futur proche où « Grâce à l’ingéniosité de Charles Aubert, le moindre petit fait vrai accéda à l’immortalité, comme la photographie ou les images animées documentaires l’avaient déjà permis un siècle plus tôt » (p 19). « MemoryProject avait été conçu, dans les années quatre-vingt-dix par Charles Aubert, un chercheur français en neurosciences, qui réussit l’exploit de décrypter, d’encoder et d’exporter sur un support électronique ce qu’un individu voit, entend, pense ou ressent, d’extraire de son cerveau ce qui était jusqu’alors intransmissible : ses souvenirs » (p18). En conséquence de quoi, Gabriel devient un collectionneur mnémophile, consommateur régulier à la société Mnémoflix.
La quête inter ou trans-temporelle d’une image, d’une sensation, d’une passion qui se construit relève d’une « cristallisation » au sens stendhalien, une idéalisation ou une illusion que l’intellect et la technologie réussissent à faire devenir réalité.
La traque est dangereuse mais le sujet semble séduire. Au cinéma, je pense à “Quelque part dans le temps”, “Entre deux rives”, “Kate & Leopold”, etc. Plus récemment dans Réminiscence en 2021, Hugh Jackman incarne un homme amoureux d’une femme qui disparait et qu’il recherche à l’aide d’une machine à souvenirs. Je n’en dirai pas plus, suspense. (Voir ici).
Un thème donc proche qui aborde une réflexion sur le monde virtuel, les réseaux sociaux, les nouvelles technologies et dont on peut penser qu’il touche au « trafic de conscience humaine », à un « vol de la pensée », une « escroquerie des âmes », ou une « entreprise légale de banditisme » (p 273). D’un autre côté, transférer ses souvenirs allège la personne qui les partage et enrichit ceux qui les reçoivent.
La transmission et la mémoire sont ici au cœur d’une époque qui multiplie les banques de données.
Dans La fabrique des souvenirs, les heureux hasards font bien les choses et bien que l’on s’attende un peu au happy end, la quête de l’amour intemporel reste une belle et hasardeuse aventure.
Citations :
– p 175 : « Tu le soignes [le violoncelle], je l’éreinte, nous nous étreignons. »
– p 177 : « Moi aussi j’ai été follement amoureux d’une illusion, d’une fugitive, mais elle était littéraire, c’était Mathilde de la Mole. Cette beauté capricieuse devint mon idéal féminin. J’aimais être amoureux. »
– p 178 : « Ce que tout le monde prend pour une obsession, je le vois comme une traque, une analyse de vous-même, un puits de Narcisse ou de Poséidon. Soit vous tomberez, soit vous vous relèverez plus fort. »
– p 200 : « N’était-il pas en train de fantasmer une histoire d’amour avec une femme qu’il ne rencontrerait jamais, qu’il n’aimait que par la grâce des indices laissés par la mémoire d’un autre ? »
– p 295 : « le leurre des mois passés, le mensonge vrai dont il avait réussi à persuader son corps par la force de son esprit .»
Clélia Renucci présente son nouveau roman, “La Fabrique des souvenirs” (voir ici).