2021, Seuil, 228 p, lu en numérique, 198 p.

C’est la fin de la nuit où tout peut arriver, et où tout arrive. Un policier blanc (qui n’a pas de nom), la main sur son revolver arraisonne un homme noir ivre et provocant (Grégoire). Un travesti (Petites Cendres) tente de calmer les deux protagonistes. Le suspens s’allonge jusqu’à la fin : le policier va-t-il capturer/tuer Grégoire ?

De plus en plus de personnages apparaissent, leurs instants de vie s’enchâssent les uns dans les autres. Une cohorte de gens, marginaux de tous genres, humains de toutes espèces défilent dans une sorte de « lanterne magique ». Proies ou prédateurs, justes ou cruels, leur voix tourbillonnent en spirale. Le roman choral s’enroule autour d’eux.
Avec peu de ponctuation et presque pas de points pour terminer les phrases, la longue digression enfle dans un lyrisme qui jamais ne juge. Au contraire, il y a toujours une bienveillance sous-jacente qui montre combien l’attitude des uns et des autres varie selon l’éducation et les principes.

L’originalité de Marie-Claire Blais est d’insuffler ses inquiétudes dans le mouvement perpétuel de la mer. Les combats actuels les plus importants sont ici dévidés au rythme des vagues qui servent de liaison aux sous-récits. L’eau lave les offenses, sans fin. Les répétitions verbales enclenchent un roulis textuel qui berce le lecteur.
Mais alors que l’image du « dantesque brasier » (p 197) se superpose à celle de la mer, le chaud et le froid exacerbe la dualité de l’avenir qui se profile à l’horizon. 
Ce défi littéraire est un morceau de bravoure vertigineux.

Citations :
– p 198 : « lorsqu’ils seraient en mer, que ne lui dirait-elle pas, qu’ils étaient encore beaux et jeunes, ne serait-ce qu’un mirage, ne fallait-il pas y croire, cette déclaration le ferait rire, elle aussi en rirait, ils seraient si sincères, oui, d’une sincérité absolue, pensait-elle, elle n’était plus aussi solitaire, ils marchaient tous avec elle, une mouvante humanité, pensait-elle, elle écrirait à ses filles, un jour, vous verrez, nous serons forcés de nous humaniser, nous n’aurons plus d’autre choix, »
– p 198 : « le monde est neuf, dit Lou, oui, mais nous sommes en colère, dit Philli, »
– p 198 : « le soleil était rouge à l’horizon, tel un brasier. »