
Antonine Maillet, Les cordes de bois
Grasset 1977, 253 p
De la même façon que je l’ai signalé pour La Sagouine (voir article ici), la narration ne se fait pas dans un « français de France ». Ce roman est écrit dans la langue acadienne, la « langue des côtes ».C’est un français qui mélange des mots anglais, des expressions typiques et des tournures d’ancien français, provinciales et paysannes. Son parti pris est le respect et la revendication fervente d’une identité que Les Cordes de bois représentent.
Moins ardu à comprendre que La Sagouine déjà citée (mais sans lexique), les lecteurs français se laisseront vite emportés par la verve et l’humour des personnages que la narratrice évoque, avec leurs défauts et qualités, leurs couleurs chatoyantes et leur “glou glou” dans la gorge (p 12).
Dans le contexte d’une Acadie (au sud du Québec) du « début du siècle » (p 9) en mutation (longueur des jupes et des cheveux, etc. (p 26)), l’histoire est racontée par un « je » disponible et patient (p 113) : « Je me rassis et j’écoutai » (p 128). La narratrice retranscrit donc un récit interrompu par les répliques ou les questions des personnages, personnes réelles qui interagissent avec celle qui les y convie : “parlez-moi de…” (p 127), relayées parfois : “L’histoire de cette nuit fut rapportée par plusieurs langues : quelques-unes, témoins directs; d’autres, témoins de ouï-dire”(p 146).
Les noms des personnes, des clans, des lieux, des quartiers, les paroisses s’égrènent : Ma-tante-la-veuve, la Piroune, la Bessoune, l’Ecossais…Les Mercenaire, Les Thibodeau, les MacFarlane, les Cordes-de-bois…le quai, le pont, la butte…Cocagne, Saint Antoine, Acadieville, au gré de leurs embrouilles, manigances et chicanes. Sans oublier le vicaire !
Avec une joie de vivre et un rythme incroyables, Antonine Maillet apporte le témoignage d’un peuple au fort tempérament, fier de ses sorcières et de ses pirates, de ses vandales et de ses amazones, de ses origines et de ses légendes. Elle a su donner vie à cette matière “brassant le fictif et le vrai” (p 162).
Citations:
– p 11 : “Elles ont pris tant soin des mœurs, des bienséances et de leurs robes amidonnées à l’empois de patates, ces pucelles, que tout le village s’est mis à leur exemple à ressembler à un catéchisme en image.”
– p 12 : Au début ce n’était que des cordes, de toutes modestes et inoffensives pile de bois d’épinette, fort discrètement cordées le long de la clôture abandonnée par un colon qui avait manqué de courage.”
– p 12 : “Je sais aussi reconnaître à leur voix les gens des côtes qui s’étendent entre la rivière Miramichi et celle de Petitcodiac.”
– p 4è : “Mais pour leur malheur, cet arrière-plan se trouvait en réalité l’arrière-cour de la Piroune qui en conçu comme qui dirait une arrière-pensée.”
– p 52 : “Une Bessoune comme celle-là, le siècle en fera jamais deux.”
Voir aussi:
– Liste des autrices canadiennes et québécoises ici,
– L’article sur la francophonie incluant (bien évidemment) la littérature québécoise (écrivains et écrivaines) : lire ici,
– L’article sur le « Festival International des Écrits de Femmes » de 2021, consacré aux autrices canadiennes et québécoises : ici.