
Louis Hémon, Maria Chapdelaine
Litté poche de ViaMedia, 2006 (première édition en 1914), 170 p.
Après plusieurs remaniements effectués par les éditeurs postérieurement à l’écriture du roman, la version originale est de nouveau disponible. Elle nous offre le parler local et la saveur des mots du pays de l’époque. Les prénoms désuets nous transportent dans le temps (Cleophas, Egide, Nazaire, Napoléon, Hormidas, Azalma, etc.) ; les noms de lieux dans une évocation de la nature belle mais impitoyable (Pointe-Mille-Vaches, Notre-Dame-du-Portage…) aux odeurs de la forêt ; les mots d’une vie rude et humble d’une « race pétrie d’invincible allégresse » (p 9) et du respect dans la joie : « c’est plaisant de se revoir »(p 37). Toutefois, si le texte utilise des canadianismes et « la douceur de la vieille langue jalousement gardée » (p 159), il est tout à fait accessible à un lecteur ou une lectrice de France.
Dans ce grand Nord à défricher, les hommes s’ordonnent autour de deux grands pôles : il y a les coureurs de bois et les fermiers. Louis Hémon parle de « deux races : les pionniers et les sédentaires » (p 36). Et c’est entre ces deux options de base auxquelles s’ajoute en dernier une troisième, que Maria, seule fille à marier de la famille, devra choisir son avenir. Trois hommes lui proposeront, soit une vie de vagabondage et d’aventures dans les bois, soit la paix tranquille d’une paysanne dans sa ferme, soit encore l’exil dans une grande cité des États-Unis.
Maria est habituée à la vie ordinaire que lui ont offert ses parents : « la vie avait toujours été une et simple pour eux : le dur labeur nécessaire, le bon accord entre époux, la soumission aux lois de la nature et aux lois de l’église – toutes ces choses s’étaient fondues dans la même trame… » (p 85). À l’inverse de ce « beau pays, neuf, vaste » (p 108), les trois français tout juste émigrés décrivent « la lassitude du trottoir et du pavé, de l’air pauvre des villes ; la révolte contre la perspective sans fin d’une existence asservie » (p 109). Le choix se complique pour Maria qui oscille entre ses désirs, ses besoins et l’authenticité de sa nature.
Une clameur s’élève tout au long du roman en faveur de la terre nourricière et les pionniers au « cœur limpide et honnête » (p 124). Un hymne à leurs origines et à leur témoignage. Si d’autres peuples ont émigré au Canada : « Autour de nous des étranger sont venus, qu’il nous plaît d’appeler des barbares ; ils ont pris presque tout le pouvoir ; ils ont acquis presque tout l’argent », la présence française résiste : « s’il est vrai que nous n’ayions guère appris, assurément nous n’avons rien oublié » (sic, p 159) car « Au pays de Québec rien de ne doit mourir et rien ne doit changer… » (p 106).
Louis Hémon est parti de Brest pour le Québec. Son œuvre fait aujourd’hui partie des grands classiques de la littérature québécoise.
Citations :
– p 112 : « Il n’y a pour bien réussir sur la terre que ceux qui sont nées et qui ont été élevés sur la terre. »
– p 124 : « Les trois amoureux de Maria Chapdelaine n’avaient pas été attirés par des paroles habiles ou gracieuses, mais par la beauté de son corps et par ce qu’ils pressentaient de son cœur limpide et honnête. »
– p 154 : « Elle avait l’intuition confuse que ce récit d’une vie dure bravement vécue avait pour elle un sens profond et opportun, et qu’il contenait une leçon, si seulement elle pouvait comprendre… »
– p158 : « Dans tout ce pays-ci nous sommes chez nous…chez nous. »
– p 160 : « Il fallait bien qu’il restât une femme à la maison. »
Voir aussi :
– L’article sur la francophonie incluant (bien évidemment) la littérature québécoise (écrivains et écrivaines) : lire ici.