
Kim Sung-hee, La capacité de survie
Éditions Ça et Là, 2021, 200 p.
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Recevez un livre-publiez un article » de Lecteurs.com que je remercie ainsi que les éditions mentionnées.
La capacité de survie est un manhwa (prononcez : ma. nhwa), nom donné à la bande dessinée en Corée. Issu du japonais, le manhwa est l’équivalant coréen du manga.
Dans cet album, dont la couverture annonce déjà une composition simple, claire et classique, on retrouve des cases, des bulles et des dessins qui se lisent de gauche à droite. Le décor (paysages, intérieurs), les comportements et attitudes sont empreints de la culture asiatique locale. Mais alors que le manga est en général en noir et blanc, La capacité de survie ajoute une couleur brun-ocre qui lui donne un relief et une profondeur tout en douceur. Le graphisme également, est différent du manga. Ici, le trait est libre, fin et dénoué, détaillé ou simplement évocateur d’un contour. Les pages sont séparées en six vignettes exactement, six carrés réguliers qui alternent bulles et cartouches, dialogues et commentaires. Quelques mots coréens s’y glissent (kimchi, hagwon, etc.) avec ou sans explication selon le contexte. Le public visé n’est pas celui des adolescents.
La manhwaga Kim Sung-hee introduit une narratrice appelée Yeong-jin. Elle est enseignante dans un lycée privé de Séoul. Son petit-ami travaille dans une association d’aide aux travailleurs migrants. Ses parents sont âgés, mais la « pauvreté relative » (p 151) (qui succède à la misère) les oblige à travailler encore. Leurs ambitions et leurs priorités diffèrent.
Son histoire débute à l’hôpital où elle subit une intervention pour un fibrome dans l’utérus. Cet événement déclenche une remise en cause des pressions que la femme subit, de ses attentes et de ses possibilités d’avenir. La société place Yeong-jin dans une situation de précarité sur le plan social, familial et professionnel : « L’enfant est adulte à quel âge ?/ environ quarante ans [l’âge de la narratrice]/ l’âge des parents ? / Non, l’âge de l’enfant. » (p 109).
Son parcours est jalonné de réflexions sur la vie (p 87), la structure familiale (p 24), la maternité (p 59, 63, 74), le célibat (p 94), le mariage (p 98, 118) les relations homme/femme (p 179, 181), l’amour (p 116, 198), la vieillesse (p 96, 153, 176), la société (p 162), le travail (p 167), l’argent, la politique (p137), l’enseignement (p 53), sur tout ce qui fait finalement le quotidien d’une vie.
Dans un pays où elle dénonce la corruption, l’hypocrisie et l’indignité à certains égards, la narratrice rencontre un sentiment d’échec (p 149) qu’elle refuse (p 164). À la fin du manhwa, Yeong-jin retourne à l’hôpital (p 160-1). Elle en sort, sinon apaisée – la colère est toujours sous-jacente (p 143, 182) –, mais avec une certaine sérénité pour faire face aux failles (p 160) et aux difficultés à affronter (p 199). Elle conclut : « je ne vivrai pas de la même façon qu’avant » (p 164).
La capacité de survie illustre, par touches plus ou moins appuyées, cette force « qui nous permet de nous lever le matin alors qu’on est effondrés la veille au soir » (préface). Le titre (issu de la page 54) nous le rappelle. Au « Acceptons, oui acceptons…sinon, c’est trop douloureux » (p 105), l’autrice nous enjoint, dès la préface, à « agir pour rattraper le temps perdu ».
Citations :
– p 24 : « Nous nous aimons, donc la famille est à la fois une bénédiction et un cauchemar. »
– p 51 : « Les enfants ne s’intéressent qu’à eux-mêmes. / Heureusement pour eux…/ ils oublient rapidement les problèmes des adultes. / C’est pourquoi je ne les déteste plus. »
– p 54 « La société a une dette envers notre capacité de survie. »
– p 169 : « Le monde restera toujours dur et insensible. / Seul le désir bouillonne en nous./ Ce désir qui nous harcèle pour qu’on le réalise. »