
Patrick Modiano, Chevreuse
2021, Gallimard, lu en numérique, 103 p.
Patrick Modiano est souvent cité dans le livre de Philippe Jaenada Au printemps des monstres. Les similitudes sont nombreuses : le passé, la mémoire, l’enfance sacrifiée, la prison, la guerre et ses « monstres » (Lucien Léger, Lucien Lacombe…). L’admiration de Jaenada pour cet auteur est tangible.
Dans Chevreuse, le voyage se passe dans la solitude de Paris au mois d’août. On y trouve l’ambiguïté délétère d’un père et les manigances d’individus vivant d’expédients dans un milieu interlope.
L’atmosphère peut faire penser à celui de Quai des brumes (1938) de Marcel Carné et au réalisme poétique. Ce film est une adaptation du roman de Pierre Mac Orlan, inventeur du fantastique social. Le champ sémantique de la nuit, pénombre et clair-obscur (p 97, 99), du « temps suspendu », « immobile » (p 107) à celui des « aiguille arrêtées » comme un arrêt sur image, est vaste et récurrent.
Et en effet, avec Chevreuse, Patrick Modiano nous propose une autofiction « cinématographique » ou photographique (p 48, 49, 97), « vintage ». L’auteur, considéré comme un instigateur de « l’âme rétro », erre à la frontière du présent et du passé, entre la ville et la campagne. Un monde tout en silences, en non-dits et en mystères (p 65). Les quelques faits sont reconstitués avec minutie, comme une enquête (p 66) ou un fantôme (p 20, 99) qui revient sur les lieux (du délit). L’ « orphelin amnésique » (p 76 et 34) était jusque-là en « hibernation » (p 35). Il remonte alors le cours du temps (p 33) dans une sorte de monde parallèle (p 31).
La référence (p 51) à La Petite Dorrit (Little Dorrit, 1855-1857) de Charles Dickens, donne une portée politique à ce très court roman. Sa structure en deux parties prend un tour symbolique : d’un côté il y a la « Pauvreté » et de l’autre, la « Richesse ». Cette œuvre se rattache à Modiano par la mention de la prison (le père de Dickens a été incarcéré à Marshalsea, comme celui de Patrick Modiano, Alberto, à Paris). De même, la vie du père de Patrick Modiano ressemble étrangement à celle des personnes évoquées dans le dernier livre de Jaenada Au printemps des monstres ainsi que bien étrangement à celle du père de Sorj Chalandon dans Enfant de salaud. La période trouble de la guerre et de l’après-guerre n’a pas fini de faire remonter les crimes des défunts et de raviver les blessures des vivants !
C’est lors de cette balade que l’écrivain « détruit » le cauchemar par l’écriture (p 99) : si une ligne, une trace fixe la fiction (p 103), elle se débarrasse ainsi du poids de la réalité.