
Irène Frain, La forêt des 29
2011, J’ai lu, 455 pages.
Entre roman, récit et témoignage historique, le groupe formé par les 29, autrement dit les Bishnoïs en hindi, résulte d’une prise de conscience de la folie ostentatoire des raos du XVe siècle et du manque de respect dû à la nature (faune, flore, humains). La double constatation, un mal et son envers, est poussée par une catastrophe climatique. On est loin de l’exotisme consacré de l’Inde, de ses paysages colorés, de ses lumières et de ses senteurs. Cependant on est à la source d’une spiritualité légendaire d’un pays qui entrevoit « une autre façon de vivre » (p 334), “une formule de longue vie” (p 324).
Djambo dont le nom signifie « merveille » (p 29), cherche sa place parmi les siens, puis hors de son périmètre, sur les routes, avec maître ou mentor. Après un périple initiatique au long de « plusieurs vies », il s’installe dans une oasis et décrète : « Ce sera ici » (p314). Il fonde un village avec les survivants de l’épidémie et de la sécheresse. Ayant déjà bravé des interdits, renié des idoles et fraternisé avec l’impensable, la communauté instaure progressivement 29 règles à l’usage d’une vie équilibrée et rationnelle. La liste (détaillée en annexe du livre) a été constituée au fur et à mesure, confrontée à l’usage quotidien et s’est arrêtée « comme ça », lorsqu’il n’y avait plus rien à y redire ni à y ajouter.
Doté d’une documentation soignée, le récit se présente comme un conte, une odyssée, une longue quête qui commence comme un roman. Puis vers la fin, le tracé rapide de l’évolution historique de l’Inde déséquilibre un tant soit peu le texte qui bascule vers une apologie de ce qui reste d’un enseignement prophétique à la manière de Gandhi. L’écriture s’appuie sur Les Annales du Désert, les Charans, Udo le masseur, les traditions, les astrologues et autres chroniqueurs. La liste des victimes du massacre (p 445) et celle des 29 préceptes en annexe donnent une authenticité supplémentaire au témoignage. La langue est parfois relâchée voire anachronique, sans doute afin de raviver des faits anciens, graves et embarrassants d’un côté, réalistes et positifs de l’autre.
Nota Bene : le personnage dont le prénom est Karma rappelle la signification du mot « karma » ou « karman ». C’est un « principe fondamental reconnu par les trois grandes religions indiennes et reposant sur la conception de la vie humaine comme maillon d’une chaîne de vie (samsara), chaque vie particulière étant déterminée par les actions de la personne dans la vie précédente » (dictionnaire Larousse). Il est dit de cette personne, à plusieurs reprises, que « C’était une femme [Karma] aux yeux qui portaient loin ».
Citations :
– p 311 : « Lui, il avait souffert. Il s’était fourvoyé, avait désespéré, touché l’abîme. Mais au cœur des plus rudes évidences qu’il avait affrontées, quelque chose en lui, obstinément, avait répété : « je veux comprendre. » »
– p 312 : « La meilleure façon de réaliser ses rêves, c’est de commencer par en avoir. »
– p 327 : « On ne s’en remet qu’à nos bras et à nos têtes. On est simplement des gens qui font de leur mieux. »
– p 335 : « Dans notre naissance, nulle fatalité. Nous nous créons nous-mêmes. »
– p 344 : « Du doute, ce Djambo n’a gardé que le versant lumineux, la vigilance. Le côté ombreux, celui qui ronge, il l’a détruit. »